OPINION. Face aux crimes terroristes, l’urgence et les conditions de la paix, aujourd’hui même

Par Richard Pétris, Benoit Mollaret et Matthieu Damian. Face à l’annonce de l’assassinat d’Hervé Bourdel par un groupe se revendiquant d’un lien avec la nouvelle nébuleuse terroriste Daesh ou Etat Islamique, l’Ecole de la paix a tenu à rappeler la nécessité d’une position ouverte sur la relation au monde, mais ferme quant aux risques que fait peser sur le vivre-ensemble les réactions les plus extrêmes dans ces contextes d’urgence.

La situation dans laquelle nous nous trouvons en France face à ce qui a été considéré, tout récemment, comme une « déclaration de guerre » terroriste et sur fond de crise internationale multiforme, est d’une extrême gravité. Pouvons-nous penser que nous allons y répondre de manière adéquate ? Nous pouvons craindre que ce ne soit pas totalement le cas et, devant ce défi majeur qui ne peut être relevé que collectivement, nous nous permettons de nous interroger publiquement sur la part de responsabilité qui revient à nos associations de citoyens, incontestablement, comme sur celle qui incombe aux institutions qui nous gouvernent.

En tant que citoyens engagés dans la cité, nous devons assumer totalement la vocation des associations de notre champ d’action qui visent, directement ou indirectement, à encourager et à renforcer le vivre ensemble. Nous devons regarder en face les risques de fracture qui pèsent sur notre société et considérer, d’abord, comme inacceptable, qu’une fraction, si minime soit-elle, de notre population ait pu être conduite à penser qu’il n’y a point de salut en dehors de l’aventure d’un djihad qui se veut une autre croisade, à l’objectif destructeur et meurtrier ouvertement proclamé, après celles d’un autre âge et que l’on rejette aujourd’hui. Ne dit-on pas suffisamment que ce qui manque à notre monde globalisé, c’est précisément un surcroît d’humanité ? Face à ce déficit, est-on suffisamment clair sur l’idée du progrès, le contraire, disons-le, de la barbarie et qui passe immanquablement par ce que seul permet le développement, sans pour autant nier les limites et les inconvénients que celui-ci comporte également ? Acceptons-nous suffisamment de reconnaître, en dépit de la complexité toujours plus grande et de la relativité des situations, qu’il existe bien une universalité de certaines valeurs et de la démarche démocratique, celle-ci objet d’un long processus et non une solution toute faite qu’on pourrait imposer de force ? Est-on certain que l’éducation, qui est, dans le sens le plus large du terme, un vecteur essentiel de l’une et des autres et que nous dispensons, y compris nous-mêmes, dans un effort de prévention et de médiation, est encore à la hauteur des défis ?

On peut craindre que cette éducation n’ait décidément pas toute la place qu’elle mérite dans la panoplie des politiques qui construisent le collectif, au moment où nous avons besoin de visions éclairées et de décisions courageuses. Celles qu’il fallait prendre pour porter un coup d’arrêt à l’avancée djihadiste dans le Sahel, puis empêcher les débordements d’un Etat islamique au Moyen-Orient, relèvent d’une gestion classique des crises qui continue, dans cette dernière région clé en particulier, de se heurter, notamment, à un épineux problème de frontières qui a  nié l’existence de certains peuples et ne peut que miner les bases sociales en même temps qu’économiques d’une paix globale et durable. Il faut pourtant comprendre, à la fois, ce qui relève encore, dans cette grande région, de l’héritage d’une situation coloniale résolue dans les pires conditions et ses conséquences aujourd’hui et ce qui nous apparaît comme l’insuffisante prise en compte d’autres causes que la dimension uniquement religieuse de ce conflit. Elles sont économiques et démographiques, notamment ; ces dernières, pour oser évoquer un défi considérable – peut-être premier ? – qu’on à
malheureusement peine à traiter comme une donnée de la mondialisation.

Qu’a-t-on appris des crises du passé et qu’apprend-t-on de celle-ci ? Intéressante, à coup sûr, cette récente initiative du gouvernement allemand de mettre plusieurs dizaines de millions d’euros à disposition d’associations luttant contre le racisme et sur plusieurs années, en considérant que ces «  porteurs de projets ont besoin de confiance et d’être capable de planifier [leurs actions]». Les grands moyens, notre pays a décidé de les mettre dans le recours à l’outil militaire, dans une guerre que l’on peut craindre « sans victoire possible » ! Ces deux grands pays européens ne devraient-ils pas montrer la voie aux autres en coordonnant mieux leurs efforts pour une véritable stratégie de paix ?Deux révolutions intellectuelles et politiques se sont produites dans le monde depuis 1945, qui ont abouti à une transformation de la carte du monde et du paysage mondial en matière de sécurité : la décolonisation et la construction de l’Union européenne. N’est-on pas en droit d’attendre qu’une troisième révolution de cette nature corresponde à ce que Bertrand Badie considère comme la fin des relations internationales classiques et que commence alors l’Histoire, « celle non plus seulement des Etats rivaux, mais la vraie, la totale, celle de l’humanité tout entière et des sociétés compénétrées ? » On nous parle de détermination, mais il y faut aussi de l’imagination, car c’est d’une réelle invention qu’il s’agit.

(novembre 2014)

Ecole de la paix, Grenoble