CARTOGRAPHIE. Chicago: la fragmentation économique et ethnique des espaces

Par Alice Laurent et Florent Blanc. Si en France, les vocables de mixité sociale et de vivre-ensemble font l’objet d’une attention toute particulière lors de l’élaboration des politiques d’aménagement du territoire et de l’organisation de la vie en société, il n’en est pas tout à fait de même sur le territoire américain. L’espace urbain y apparait découpé, morcelé selon des lignes de partages ethniques et économiques. Trois cartes, produites par www.radicalcartography.net illustrent cet état de fait.

L’urbain est un terrain de dualités. S’il peut être le lieu de formidables rencontres et métissages entre peuples, entre cultures, il peut aussi préfigurer des ségrégations sans précédent. Qu’elles soient souhaitées, recherchées, renforcées, décriées, ces frontières entre habitants d’une même ville peuvent prendre des visages différents.

Aux Etats-Unis, les territoires urbains s’articulent fréquemment autour de communautés concentrées dans des espaces relativement délimités. Afro-Américains, Latinos, Asiatiques, populations WASP vivent le plus fréquemment séparées à l’exception des zones les plus privilégiées qui regroupent alors les habitants les plus fortunés, le plus souvent sans distinction d’origine. Distinction par choix, mais aussi par contrainte, le calque des inégalités sociales et économiques se superposant très facilement à la grille ethnique. C’est là que les politiques de la ville et du logement interviennent, pouvant creuser un peu plus l’écart ou au contraire tenter de le résorber, en usant par exemple des « mixed income neighborhoods », programmes visant la mixité au sein d’un même quartier.

Entre New York, Detroit, Chicago, San Francisco et San Jose, l’urbain est quadrillé de ces frontières, plus ou moins nettes et tenaces selon l’histoire se tenant derrière la ville en question. Des frontières urbaines, économiques, sociales, raciales, humaines. Et parfois, dérangeantes. Si en France la Commission Nationale Informatique et Libertés, en charge de la régulation des bases de données, veille à ce qu’aucune données quant à l’origine ethnique, les croyances politiques et religieuses, ou les préférences sexuelles, ne soient collectées et agrégées, la société américaine, par son histoire particulière a fait de l’appartenance raciale un critère d’auto-identification présent sur chaque formulaire administratif. L’auto-déclaration permet la réalisation de cartographie qui si, depuis le contexte français, elles peuvent nous sembler choquantes et perturbantes, ne sont pas perçues comme telles sur le territoire américain.

Afin de comprendre ces ségrégations, ou au contraire ces mixités, la cartographie qui s’appuie sur la statistique devient un outil utile, visuel et frappant. C’est le travail  de l’excellent site http://radicalcartography.net/ qui a réalisé plusieurs cartes sur Chicago auxquelles nous nous intéressons ici.

Sur la base des données de Chicago, RadicalCartography a cartographié la répartition des habitants selon leur origine ethnique déclarées et celle, juxtaposée, de leur répartition par tranche de revenu annuel. Les résultats sont éclairants sur la division de l’espace et la concentration par groupes ethniques, recoupant bien souvent l’architecture de la répartition des richesses économiques. Pour éclairer encore cette situation, le site propose une troisième carte, celle de la répartition
éthnico-spatiale de la population de Chicago en 1960. La mixité en 2010 est beaucoup plus forte, mais tout de même.

A la vue de ces cartes, le regard se prend à remarquer les aggrégats de points, et cherche à comprendre le sens de ce qu’il voit. La cartographie indique mais n’explique pas les choix humains, volontaires ou plus ou moins contraints, qui expliquent et sous-tendent les choix d’habitat es individus et des familles. L’article d’Alice Laurent sur Cabrini-Green propose quelques clefs de lecture sur les politiques du logement social  à Chicago qui ont contribué, par le biais du phénomène du « warehousing of the poors », à la concentration des populations les plus pauvres, populations également majoritairement Afro-Américaines dans le cas de Cabrini (lire ici).

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