Saint-Martin d’Hères: imaginaire de la banlieue

Depuis le printemps 2012, Yvan Zambrano et Rodrigo Maranhao mènent une enquête sociologique sur l’imaginaire des jeunes d’un quartier Saint-Martin d’Hères, aux portes de Grenoble.

Vous trouverez ici les contributions de ce projet à cette réflexion qui alimente, naturellement, nos travaux collectifs sur le lien entre territoires et culture de la paix.

Voici la description de leur projet

Ce projet s’articule autour de l’imaginaire de la banlieue, et en particulier, autour du rapport parfois difficile entre les associations et la jeunesse.

Le besoin d’un rapprochement entre ces deux groupes est evident, comme d’ailleurs il paraît nécessaire une plus grande participation active de la part des institutions à la vie du quartier. En effet, ce qui semble lier les différents habitants de la banlieue est l’exclusion croissante dont ils sont victimes à partir des années quatre-vingts, avec une augmentation constante des épisodes de violence, dégradation et incivilité qui minent les liens sociaux et solidaires, en favorisant l’isolement vis-à-vis de l’État et des institutions.

Ainsi Behar introduit sa recherche de terrain sur l’espace urbaine :

La conjonction entre la question urbaine et celle de la pauvreté n’est guère inédite. De tout temps, la ville a concentré les pauvres, a rendu plus visible la pauvreté. […] De tout temps, pour en finir avec la ségrégation sociale, l’utopie d’une répartition harmonieuse des groupes sociaux dans l’espace urbain a hanté les ingénieurs sociaux. Quelle est donc, en regard de cette permanence, la nouveauté qui pousse médias, pouvoirs publics et analystes à sonner l’alarme, à dénoncer l’apparition de  » quartiers ghettos « , à mettre en cause la  » ville à deux vitesses « , l’autre face de nos villes que constituerait la banlieue […]?[1]

Il concentre son attention aussi sur l’architecture urbaine, notamment avec les logements HLM qui concentrent dans un quartier « ghetto » les pauvres « de plus en plus relégués et concentrés au delà d’une frontière sociale et spatiale dont l’étanchéité va croissante »[2]. A l’intérieur de cette frontière, comme le montre Acquatias[3], les liens sociales se dégradent, avec en parallèle une augmentation des épisodes de violence et de l’insécurité.

« Une fois dégagés des filtres politiques avec lesquels on les regarde habituellement, les commentaires de l’insécurité pour ceux qui disent la vivre, ouvrent sur des interrogations radicales à propos du devenir de la société. Il y est question du consensus minimal permettant la vie en commun, de la nature du lien social, de la légitimation de l’Etat, de la redéfinition de la Loi, de la conception de la
citoyenneté, etc. »[4]

Des épisodes de violence qui touchent aussi la population juvénile. Sébastien Roché, dans son livre La délinquance des jeunes [5] en donne plusieurs exemples pour la ville de Grenoble, toutefois démontrant que cette forme de délinquance ne touche pas seulement les jeunes de banlieue, mais aussi ceux issus des “bonnes familles”, démontrant ainsi que bien que réelles, la violence et la délinquance auxquelles se lie le sentiment d’insécurité sociale propre aux banlieues révèlent de l’image qu’on se fait de cet espace. Face à cette image de violence et d’insécurité qui est magnifiée par les médias, et qui semble réduire la banlieue à ce seul aspect, on registre une double fermeture envers et de la part de la banlieue. Encore Acquatias montre la liaison entre la perte du lien sociale et l’incapacité des institution à y rémedier :

la représentation populaire et médiatique du « jeune de banlieue » sert d’exemple paroxysmique. Il y a bien des raisons à cette construction d’un imaginaire de l’insécurité, de la délinquance à la toxicomanie. La remise en cause de l’intégration par les groupes primaires (familles, voisinage, etc.) et les difficultés des grandes institutions (Etat, syndicats, etc.) à réduire les inégalités y participent tout autant. Sociabilités primaires et solidarité nationale semblent inopérantes. Les liaisons sociales qui caractérisaient la communauté et la société sont remises en cause. Les relations de proximité et de voisinage, les liens de sang et la transmission culturelle qui assuraient la continuité sociale des communautés, pas plus que les relations d’interdépendance créées par l’échange marchand et les solidarités nationales qui sont à la base du modèle de la société occidentale n’arrivent à assurer la transmission des règles de la vie en collectivité.[6]

Sébastien Roché, dans l’œuvre citée, préconise un rapprochement des institutions (et dans le cas spécifique de la police) aux réalités sociales locales.

Dans ce contexte, les jeunes construisent leur appartenance communautaire et tissent des nouveaux liens à partir d’un melting-pot complexe ; il est formé, à la fois par la fascination envers la culture urbaine et suburbaine américaine transmise par les films, la musique, et par l’image médiatisée de la banlieue, et à la fois de ce que l’on pourrait définir un vécu personnel et familial qui constitue un vrai habitus social. Cette identité tourne autour d’une logique de l’exclusion, qui devient souvent une auto-exclusion, un isolement entre gens qui connaissent « la galère » l’ayant vécue, qui l’affichent comme une marque d’orgueil, incompréhensible pour « les autres » : « les bourges ». Dans ce cadre, les jeunes se montrent souvent réticents envers les activités proposées par les institutions, ou de toute façon venant de « l’extérieur », parfois même destructeurs envers les espaces que la société leur réserve. Les comportements déviants tels que la drogue, le vol, l’agressivité sont souvent liés plus à l’affirmation de cette identité – à autant de marques d’appartenance- qu’à des conditions matérielles de besoin : la dégradation des immeubles, le squatting sont vus par Marc Hatzfeld[7], comme des « façons de bâtir de ceux à qui l’on n’a laissé aucune initiative et qui sont dépossédés de cette contribution à l’habitat qu’est le geste de bâtir ». On pourrait élargir cette définition aussi à des aspects moins
matériaux.

Si cette violence, cette tendance destructive, est bien réelle, il faut néanmoins souligner que derrière ces aspects négatifs, il se cache une situation de détresse envers laquelle les jeunes se révoltent. Or, cette révolte ne prends pas exclusivement les couleurs de la violence, bien au contraire, elle se manifeste aussi positivement dans des efforts sportifs (combien de champions ne sont-ils nés en banlieue) ou artistiques (comme le rap ou la street dance, entre autres). Mais aussi, plus simplement, on retrouve cette même énergie employée pour « réussir » dans la vie, au-delà des préjugés qui entourent l’habitant de la banlieue. Au fond, la vie dans la banlieue française ne se déroule pas dans un climat de guérilla urbaine, comme semblerait apparaître dans certains films, et beaucoup de jeunes conduisent tout compte fait une vie « normale ». En parlant de la banlieue de l’extérieur, on tend tous, nous compris, à retomber dans l’image stigmatisante et stéréotypée de la périphérie urbaine, comme le souligne bien Derville[8]. Il est, par contre, important de trouver un équilibre entre la sous-estimation de la violence et de l’exclusion et son exagération, et c’est à ça qu’on espère contribuer avec notre travail. Dans le cadre de notre étude sur le quartier de Saint Martin d’Hères on a pu remarquer, une participation active de ces mêmes jeunes, lorsque les initiatives sont proposées de l’intérieur ou par des personnes capables de gagner leur confiance. Nombreuses sont les associations de quartier agissant sur le terrain, et aussi notre première approche avait été dans l’ensemble très prometteuse.

Notre projet, par conséquence, se base sur le travail avec les associations déjà présentes dans le quartier, en proposant aux jeunes des outils et des méthodes attrayantes. Méthodes dans lesquelles le rôle de l’institution s’efface pour laisser aux jeunes un espace d’initiative et donc un lieu où se réapproprier « du geste de bâtir ». A travers ce rôle productif qui leur semble être interdit, en leur donnant accès à la production d’information et de culture, et en fin en leur proposant un engagement actif dans ces deux domaines, on leur permettra d’apporter dans leur milieu ce dont il manquent ; c’est-à-dire, le lien social, la perspective critique, la participation publique et civique. Enfin, ils acquièreront la possibilité de construire et transmettre une identité propre, en dehors des stéréotypes qui leurs sont imposés par la société et par les médias.


[1] Behar, Daniel. 1995. Banlieues ghettos, quartiers populaires ou ville éclatée ? L’espace urbain à l’épreuve de la nouvelle question sociale. Les annales de recherche urbaine. 1995, Vol. 68-69.

[2] Ibidem

[3] Acquatias, S. 1997. Jeunesse et banlieue, entre communauté et société: une approche socio-anthropologique du lien social. Socio-anthropologie. 2 1997.

[4] Ackermann W., Dulong R., Jeudy HP. Imaginaires de l ‘insécurité. Paris, Méridiens, 1983.

[5] Roché S. 2001, La
délinquence des jeunes,
Paris : Seuil, 2001

[6] Acquatias, S. 1997, op. cit.

[7] Hatzfeld, M. 2004. Petit traité de la banlieue. Paris : Dunod, 2004.

[8] Derville, G. 1997. La stigmatisation des jeunes de banlieue. Communication et langage. 113 1997, pp. 104-117 :pp. 113 et ss..