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NOMADES. Adapter les services de l’Etat aux populations nomades maliennes
Par Florent Blanc. Au Mali, les populations nomades vivent une relation particulière avec les services de l’Etat. Depuis Bamako, le Dr Akory Ag Iknane, personnalité forte au sein de la communauté touareg malienne, nous explique sa vision. Eminent spécialiste en médecine infantile et haut fonctionnaire, il a connu la scolarisation forcée à l’époque de la présence française mais aussi le choc de la séparation familiale que les enfants touaregs subissent lorsque l’école est sédentaire. Son expérience le pousse à proposer une école qui entretienne la culture touareg tout en fournissant l’éducation nécessaire pour permettre le développement de chaque enfant.
Bamako, le 8 décembre 2013
Le taxi roule sur une piste de sable et de terre depuis plusieurs minutes. A l’arrière de la Mercedes jaune hors d’âge mais vaillante, les soubresauts de la route n’enlèvent rien au plaisir d’aller à la rencontre de cet ami d’ami dont on m’a parlé si souvent. La maison du Dr Akory Ag Iknane n’est pas au bout de la piste, mais elle se distingue nettement dans ce quartier-village où se sont retrouvés les touaregs arrivés à Bamako au fil des ans. Les hauts murs entourent une belle bâtisse où nous attend notre hôte. C’est dans un vaste salon de canapés que la conversation se tient.
Spécialiste des questions de nutrition, le Dr Akory est aussi l’initiateur de projets de médecine communautaire destinés à apporter les soins auprès des populations reculées et en premier lieu les nomades touaregs du Nord. Santé, développement et avenir se mêlent dans l’échange sans qu’à aucun moment il ne soit pas question de la place centrale de l’éducation plus que de l’école dans la construction de l’avenir des populations du Nord Mali. L’histoire personnelle du Dr Akory est illustratrice. Né sous la colonisation française, il a été attrapé et envoyé de force à l’école. Les gardes sont venus un soir dans le campement de ses parents pour emmener les enfants à l’école. Profitant de la nuit, son frère a réussi à échapper à l’école. Lui n’a pas eu le choix.
L’école pour les familles nomades, signifie que les enfants partent loin et pendant la majeure partie de l’année. Impossible de rentrer le weekend ni même pendant des vacances qui n’existent pas. Les moments en famille, ce sera l’été, chaque année, et encore. Le déracinement est total. Les parents loin. Il vit chez sa famille à Tessalit pendant cette période. A la fin du cycle primaire, l’instituteur lui propose de partir au lycée, à Gao. C’est-à-dire le sud et plus encore le pays des sorciers songhaïs. Sa mère craint qu’il n’en revienne jamais. Les négociations s’engagent. Après le lycée, ce sera la fac de médecine de Bamako et le début d’une carrière faite de succès et de projets destinés à améliorer la situation des populations du nord, nomades.
De cette expérience, et de sa carrière, le Dr Akory tire une réflexion sur le rôle de l’école mais aussi sur le sort de la population touareg du Mali.
Pour les touaregs, la question de l’école est une
réalité étrangère à la leur. Les méthodes des colons français n’ont abouti qu’à aliéner les populations de l’école. Il fallait « donner un enfant » à l’école alors à force de harcèlement et de pression, les familles touaregs finissaient par céder et envoyer à l’école… un enfant de leurs serviteurs, les Bellahs. Aujourd’hui encore, dans les écoles de Tessalit, il n’y a que très peu d’enfants touaregs. Les écoliers sont très majoritairement des enfants de fonctionnaires et de populations sédentaires noires. Les familles tamasheqs continuent de garder les enfants dans les campements où ils grandissent en s’occupant des taches communes ou des animaux.
Le Dr Akory identifie plusieurs facteurs pragmatiques qui s’opposent ou rendent difficiles la scolarisation : le mode de vie nomade encore largement pratiqué dans la zone de Tessalit et surtout le cout de la scolarité. En effet, poursuit-il, en dépit de sa constitution, le Mali n’assure plus la gratuité de la scolarité pour les enfants du cycle primaire. Il faut dès lors convaincre les familles tamasheqs de laisser partir les enfants mais aussi vendre des animaux pour payer les frais liés à l’école.
A ce stade de la conversation, le blocage est identifié. Il est même plutôt facile à voir venir. L’école est une institution fixe, immobile, et les enfants qu’il faut scolariser sont eux, par le mode de vie de leurs familles, mobiles. Un peu ici aujourd’hui mais aussi très certainement un peu là-bas demain. Dès lors, soit les enfants sont assignés à l’école comme ce fut le cas pour la génération du Dr Akory Ag Iknane, soit l’école devient mobile.
Le même raisonnement prévaut pour l’accès aux services publics de l’Etat malien. C’est donc comme ça, sur ce principe, que les unités médicalisées mobiles sont nées pour adapter le concept de médecine communautaire à la réalité des populations qu’elle devait aider à accéder aux soins. Deux chameaux et deux soignants, si possible un couple, parcourent les zones semi-désertiques pour aller à la rencontre des populations tamasheqs et prodiguer les soins et les vaccins. L’expérience menée sous la houlette du Dr Akory s’est avérée produire, lors des évaluations, de bien meilleurs résultats en 6 mois que les centres communautaires sur trois ans. Le succès étant mesuré, ici, en nombre de patients ayant pu avoir accès au service de santé. La prise en compte des réalités des modes de vie des populations constitue une évolution positive puisqu’elle permet aux individus d’être citoyens, sujets de droits, constituants d’un Etat parfois abstrait. Il s’agit ici d’émancipation par la réalisation des droits de chaque citoyen malien.
Pourtant, tous autour de la table ce soir là s’accordent à dire que les communautés évoluent, que les modes de vie également changent avec le temps et les pressions internes et externes. La société touareg évoluera. Déjà, les enfants, fait remarquer Melissa Wainhouse, sont intégrés à une communauté de jeunesse mondiale qui communique mais surtout qui est à même de découvrir le monde, les tendances, les modes, les styles. Pour le meilleur et pour le pire, mais c’est comme ça que jeunesse se passe aussi. A l’intérieur des groupes tamasheqs, jeunes et parents divergent peut-être sur les visions et les envies, mais, insiste le Dr Akory, il est nécessaire pour l’Etat
malien et la communauté touareg de penser à la préservation du mode de vie traditionnel pour que s’il y a évolution, le Mali se préserve de la disparition ou de la muséification de la culture touareg.
Il propose lui, de faire un travail de conviction auprès des parents pour qu’ils acceptent plus sereinement l’éducation de leurs enfants. A la gratuité de l’éducation qu’il faut rétablir, l’Etat doit ajouter un encouragement à la mobilité des jeunes qui doivent pouvoir, chance que lui n’a pas eue, rentrer régulièrement dans les campements de leurs parents pour préserver le lien essentiel à la perpétuation de la culture touareg.