DEVELOPPEMENT. Repenser la coopération pour relancer le développement concerté au Mali

Par Florent Blanc. Alors que l’intervention militaire française au Mali se poursuit, soutenue par les forces africaines, une grande rencontre a été organisée à Lyon, au siège de la région Rhône-Alpes, pour poser les bases de l’action internationale des collectivités françaises et maliennes en faveur du développement. En présence de nombreux acteurs maliens, les participants ont su faire la preuve des liens qui lient ces territoires et ces citoyens. Territoires de paix y était.

Par Florent Blanc. Le 19 mars dernier était organisée au siège de la Région Rhône-Alpes une [la fait trop « néo-coloniale » et reviendrait à dire que tout s’est décidé à Lyon] grande conférence sur l’avenir du développement au Mali. Réunissant 500 personnes dont les représentants de 70 collectivités locales françaises engagées auprès de leurs homologues au Mali, et nombre d’ONG de solidarité internationale, cette rencontre a permis d’entendre les ministres des Affaires Etrangères français et maliens mais également le ministre délégué au développement.

Alors que l’intervention française, dont les forces africaines sont en train d’assurer le relais sur le terrain, se poursuit pour mettre hors d’état de nuire les poches de résistance d’AQMI, cette conférence devait permettre de mettre en lumière la construction d’une action concertée, en France, au Mali, et ainsi de préparer l’initiative française auprès de l’Union Européenne dont le moment fort – la conférence des bailleurs de fonds – aura lieu courant mai 2013.

Si on pouvait déplorer que cette intervention soit intervenue plus de 8 mois après le début de la crise malienne, la démonstration semble avoir été faite de la préparation d’une réponse qui ne relèvera pas du seul domaine de l’action militaire. Dès lors, la question du développement et de la reprise des relations d’entraide et de solidarité entre les autorités et les sociétés civiles françaises et maliennes se posait de manière forte.

Le président du Conseil régional Rhône-Alpes, Jean-Jack Queyranne, qui présidait cette conférence, a introduit la séance en rappelant que le lien avec la région de Tombouctou était la plus ancienne coopération internationale de la région Rhône-Alpes puisqu’elle date de 1984. Tout au long de la journée, les représentants français et maliens des collectivités locales ont fait état des mérites de ces liens de coopération et d’entraide qui unissent, depuis que la décentralisation a été mise en œuvre en France et au Mali, les territoires et les hommes pour répondre au mieux aux besoins exprimés par la population en lien avec les structures de l’Etat. Quelques semaines après la publication du rapport du député André Laignel sur l’avenir de la coopération décentralisée française, chacun, et en premier lieu les ministres Laurent Fabius et Pascal Canfin, semblait avoir fait sien les mots du député selon lequel les relations de territoires à territoires constituent désormais ce qu’il faut bien appeler une action extérieure des collectivités locales. Ces actions, pour le ministre des affaires étrangères viennent appuyer mais aussi compléter désormais la diplomatie d’état. Il faut donc parler, a-t-il déclaré, d’une « diplomatie démultipliée« .

Et on comprend mieux les particularités de ce vocable quand les responsables politiques français, comme Jean-Jack Queyranne, Véronique Moreira (vice-présidente de la région Rhône-Alpes en charge de la solidarité internationale) ou encore Dominique Voynet (maire de Montreuil), insistent sur les choix que leurs institutions font, en fonction de leurs
lignes politiques, de l’histoire de leurs territoires mais plus encore de la mobilisation de leurs citoyens. Les actions mises en œuvre sur la base de mouvements de solidarité citoyenne constituent bien en ce sens l’un des outils de la diplomatie française et un outil qui doit pouvoir, surtout en période de crise, constituer un levier puissant de la solution lors d’une phase de rétablissement de la paix et de relance du développement.

 

Au cœur des réflexions concernant les mérites de la coopération décentralisée, repose l’idée, à la base même des politiques de décentralisation françaises puis maliennes, selon laquelle les exigences d’une gouvernance renouvelée passent par le renforcement des capacités des autorités locales. Les discours plus ou moins normatifs que l’on peut entendre sur la « bonne gouvernance » font valoir le fait que plus le pouvoir est proche des administrés et plus il est à même de les entendre. En retour, la proximité des centres de décision doit permettre aux citoyens d’interpeller les dirigeants voire de vérifier la mise en œuvre des politiques publiques. Pascal Canfin, ministre délégué au développement, a ainsi souligné son souhait de soutenir la constitution de « conseils de citoyens » au Mali pour vérifier que les politiques de développement seront efficaces, allant même jusqu’à proposer la constitution d’un réseau d’alerte par SMS si des disfonctionnements devaient être portés à l’attention des responsables et des bailleurs.

Dans la lignée de ce raisonnement, les responsables des collectivités locales, françaises et maliennes, ont plaidé pour qu’une partie plus importante de l’aide au développement soit directement administrée par les autorités décentralisées. La mise en œuvre d’aides budgétaires décentralisées – une invention récente – devra permettre, de gérer au plus près l’allocation des fonds en fonction des besoins perçus. [le ministère français des affaires étrangères a lancé en octobre dernier des fonds de soutien aux actions entreprises par les coopérations décentralisées dans différents pays. Je ne sais pas si c’est la première année. En tout cas, effectivement, c’est relativement nouveau.]

 

Si la formation des élites politiques maliennes ne fait aucun doute – le ministre des Affaires Etrangères malien a ainsi rappelé qu’il avait été étudiant à Saint-Etienne notamment – c’est de renforcement de capacités dont il a été beaucoup question. Les maires maliens venus exposer les réalités de leur quotidien et les préoccupations de leurs équipes et de leurs administrés ont été unanimes: la capacité des autorités locales doit être renforcée tant en moyens, qui font actuellement défaut, qu’en formation technique. Lors d’une brève séance de questions réponses, l’un des participants a interpellé à juste titre les représentants à la tribune sur la volonté politique de faire le choix budgétaire, coûteux, de créer une véritable administration territoriale aux effectifs renforcés et dont la formation doit permettre d’administrer l’état malien sur l’ensemble du territoire. Cette question n’a pas trouvé de réponse.

Pourtant, c’est sur ce double point de la formation et des choix d’orientation budgétaire que la conférence a pu connaitre quelques « oublis ». Alors que les projets de « construction d’écoles » surgissent ici ou là et que les appels à la mise en œuvre de soutiens financiers de long terme sont entendus dans cette période de « reconstruction » du Mali, font défaut les discours publics sur le rôle de l’école et de l’éducation pour une société qui doit  se reconstruire depuis ses fondations.

Mise en avant comme un droit universel et le levier, puissant, de la lutte contre le sous-développement et les inégalités les plus criantes, l’éducation primaire reste encore une réalité dont sont éloignés trop d’enfants maliens. Les chiffres relevés par les grandes institutions internationales exposent une réalité crue: celle d’un pays dont la jeunesse, nombreuse, et source potentielle d’une richesse future, n’est que trop peu touchée par l’éducation. Celle aussi de décalage dans l’éducation des filles et des garçons qui perpétue des clivages que les thèses culturalistes ne peuvent justifier.

Dès lors, c’est bien du renforcement de la capacité de l’Etat mais aussi et surtout de l’aide à la capacitation des citoyens que la stratégie de développement concertée pour le Mali doit s’atteler. L’école est un rouage essentiel du développement mais elle ne constitue qu’un outil au milieu d’un fonctionnement sociétal forcément complexe, nécessitant une action plus large.

Enfin, et c’est ainsi que la conférence aurait dû conclure, la question de l’éducation et de son contenu, en période de reconstruction doit faire l’objet d’une attention toute particulière. Si l’on accepte l’idée selon laquelle l’éducation porte en elle les prémisses sur lesquelles toute société bâtit son futur, il importe de se pencher sur ses contenus de manière urgente. L’éducation est un droit fondamental reconnu à tous, et il est bien évident que la simple construction d’un bâtiment « école » ne suffit pas. C’est en cela que la question des apprentissages de base doit être posée pour inclure la pratique d’une citoyenneté active, seule à même de transformer les enfants en futurs citoyens capables de prendre part à la construction d’une société qui leur ressemblera. Il est donc temps, ici comme ailleurs, d’inclure dans les programmes éducatifs, de manière forte et volontaire, un apprentissage au vivre-ensemble, une éducation au respect des différences, une sensibilisation aux droits de chacun et un véritable entrainement à la citoyenneté.

L’Ecole de la paix, comme tant d’autres de ses partenaires, est prête à réfléchir, avec les acteurs maliens et les autorités locales, à la constitution d’un véritable programme d’enseignement de la citoyenneté et des droits. L’occasion de la crise de malienne peut servir de point pivot pour que la culture de la paix prenne la place qu’elle mérite au cœur des programmes de reconstruction de la paix. Les enfants le méritent. Les citoyens de demain l’exigeront.