NÉGOCIATIONS. Colombie, la participation politique au coeur du projet de paix durable (CINEP/PPP#3)

Par l’équipe de chercheurs du CINEP/PPP. Le conflit qui déchire la Colombie depuis 60 ans porte en lui les stigmates d’une contestation du système politique. Les FARC en tant que principal challenger de l’autorité des gouvernements successifs ont longtemps contesté le caractère fermé du système politique. Pour l’équipe du CINEP/PPP, l’ouverture du monde politique, et donc la question de la participation au politique, constitue l’une des clefs de lecture majeures des négociations de La Havane.

Un regard détaillé sur la portée de la participation politique dans le cadre des négociations entre le gouvernement et les FARC à La Havane[1]

Introduction

Un des points de continuité du discours historique des FARC a été la dénonciation du caractère fermé du système politique colombien, qualifié d’oligarchique et d’exclusif à maintes reprises. Dans ce sens, ce qui est en jeu dans la discussion sur la participation politique à La Havane n’est pas négligeable.

Contrairement à ce que certains analystes avaient prévu concernant les bénéfices pour l’agenda global d’un accord sur le sujet des terres, la seule chose de sûr est que la marge de manœuvre des FARC pour la promotion et l’avancement de reformes structurelles légales dépendra de la façon dont se résoudra la possibilité et le type de participation politique de ce groupe. Nous savons bien que ce type de réforme est impossible à développer au sein des tables de négociations[2]. Pour cette simple raison, des accords sur ce point alimenteraient la confiance entre les parties et réduiraient l’incertitude au sein de laquelle les acteurs se voient obligés d’évoluer.

Les signes positifs qui se dégagent de la conjoncture actuelle portent à croire que le processus de négociation de paix, malgré les difficultés que traverse le gouvernement de Juan Manuel Santos,  offre des possibilités réelles pour avancer sur le sujet. En effet, la récente visite d’une commission de congressistes à La Havane et les déclarations d’une partie de la guérilla des FARC sont des indices qu’il existe une base solide sur laquelle entrer en discussion à propos de la participation politique de ladite guérilla.

Face à cette réalité, le CINEP/PPP se montre optimiste et persiste à porter son effort sur la réussite du débat public en fournissant analyses et propositions menant à penser les possibles mécanismes et alternatives qui aident à promouvoir des accords et facilitent leur mise en place. Résultant de cet effort, des considérations qui nous paraissent pertinentes quant à ce point de l’agenda, sont présentées ci-après.

 

  1. Qu’est ce qui est politiquement négociable?

Pour évident que cela puisse paraître, un premier élément d’analyse qu’il faudrait prendre en compte est le fait qu’il est hautement
improbable que ce qui se discute ici soit l’essence même du régime politique et encore moins la possibilité d’une transition politique au sens strict. Partir de ces exigences serait ne pas reconnaître la légitimité du système démocratique colombien qui, au niveau national du moins et malgré sa récente détérioration, répondrait aux exigences minimales requises dans n’importe quelle démocratie du monde pour être reconnue comme telle
[3].

C’est pourquoi la discussion sur le thème de la participation politique des FARC tournerait autour du besoin d’arriver à des accords concernant le type de réformes institutionnelles, du système démocratique en vigueur, à mettre nécessairement en place pour apporter une confiance entre les parties. Ceci à un niveau tel que les problèmes de compromis propres à une étape post-conflictuelle en seraient atténués.

Formulé de cette manière, l’objet de la négociation se clarifie et avec lui les positions qui pourraient être prises autant du côté du gouvernement que de la guérilla pour faciliter la proposition de consensus.

D’un côté, un gouvernement disposé à attribuer un certain niveau de légitimité au pouvoir politique que les FARC possèdent de fait ; ce serait un premier pas dans la reconnaissance de cette organisation armée comme un agent effectif dans la gestion des sujets d’intérêt public et non plus seulement comme une organisation narcoterroriste ou une machine de guerre.

D’un autre côté, une guérilla qui repositionne son discours face à la réalité actuelle et qui reconnaît le régime politique colombien comme la scène légitime pour transmettre ses demandes serait une démonstration du dépassement des vieilles conceptions  de la démocratie colombienne. En effet, la réalité politique du moment n’a rien à voir avec celle qui vit la naissance des FARC. Evidemment, d’énormes problèmes et de sérieuses limitations persistent actuellement – il suffit d’observer les phénomènes de para politique ou de désinstitutionalisation qui apparurent sous la présidence d’Alvaro Uribe Vélez au cours de ses deux mandats présidentiels – mais il convient de prendre en compte également les avancées démocratiques qu’a expérimenté le pays durant les dernières décennies. Le rôle qu’a joué la Cour Suprême de Justice en enquêtant sur les paras politiques et en les jugeant ou encore la pertinence et le poids politique d’un parti tel que le Pôle Démocratique sont des signes de changement qu’il serait malvenu d’ignorer.

Alors, quelles réelles possibilités existent pour que les différentes parties se retrouvent face à ce point de participation politique et soient disposées à assumer des positions telles que celles suggérées ? Bien qu’il n’existe aucune réponse définitive à cette question, le CINEP/PPP, sur la base d’un précédent diagnostic qui identifie les principales limites à une éventuelle participation des FARC à une politique légale, propose quelques recommandations qui, nous l’espérons, alimenteront le débat et contribueront à la formulation de politiques en faveur de la paix au niveau gouvernemental sur l’autel de la stabilisation de scénarios post-conflictuels.

 

  1. Diagnostic de la situation

Comme toute proposition le requiert, il
est considéré comme pertinent de préciser le contexte dans lequel se développe la discussion sur une éventuelle participation politique des FARC avec la volonté d’identifier les défis et les opportunités qui peuvent apparaître du point de vue des différents acteurs impliqués : la société en général, les FARC et le monde politique.

 

2.1  Une culture politique à l’opposé des accords de paix

Du point de vue de la société en général, une des principales préoccupations qu’à le CINEP/PPP est la persistance dans divers secteurs de la société colombienne d’une conception manichéenne de la politique. Cette conception fait de la politique un jeu à somme nulle où il reste peu de place à l’adversaire et, pour le moins, où le but recherché est l’élimination de l’ennemi. Ainsi, cette idée a perduré dans les différentes déclarations, non seulement des parties en conflit mais aussi des divers médias et secteurs de l’opinion publique, l’amplifiant même parfois. Les phénomènes conjoncturels associés ne sont finalement que l’expression d’une culture politique qui s’est historiquement configurée comme décrit précédemment dans le pays.

Le modèle de négociation qui fut choisi (dialogue à l’extérieur et conflit à l’intérieur) a participé à instaurer des rythmes distincts entre le pays et la table des négociations. La discussion politique et la décision de ne pas se soulever, priorisant les 5 points du pacte ; scénario qui contraste avec la « crise interne du pays » et la polarisation promue par les médias. Le résultat ? Un dialogue de paix que peu s’animent à défendre et qui doit résister aux attaques de multiples opposants dont les messages rencontrent un écho dans les médias.

Ce type de réactions conjoncturelles exprime une culture politique qui s’est consolidée sur la base de notre histoire conflictuelle et qui traduit des dérives dans les pratiques démocratiques telles que l’exercice de l’opposition, le respect de la séparation des pouvoirs ou la tolérance politique qui sont peu valorisées. Selon les mesures du dernier Baromètre des Amériques pour la Colombie, le pourcentage de citoyens qui montrent des attitudes favorables à la démocratie stable en 2012 a été le plus bas dans le pays depuis 8 ans[4].

Pour tout ce qui se rapporte à un possible scénario de post-conflit, la situation, bien qu’elle paraisse amener des résultats positifs n’est pas tout à fait satisfaisante. Selon les chiffres de ce même rapport, persistent des problèmes de tolérance envers ce type de situations. Même si 3 colombiens sur 5 se disent prêt à accepter un démobilisé comme voisin, il est préoccupant de savoir qu’une grande partie de ceux qui se montreront les adversaires de ce type de tolérance font partie des secteurs les plus éduqués et les plus urbanisés du pays[5].

2.2  Le traumatisme de l’Union Patriotique et les faibles probabilités de succès électoral de la guérilla dans le système politique actuel.

Du point de vue du secteur armé, apparaissent au moins deux limites potentielles qui peuvent rendre difficile la
construction d’un consensus sur le sujet de la participation politique. La première d’entre elles a rapport à l’expérience traumatisante qu’expérimenta la guérilla lorsqu’elle tenta de participer légalement à la politique à travers l’Union Patriotique à la fin des années 80, début des années 90. Bien que l’argument du « regroupement de toutes les formes de lutte » finit par se convertir en explication dominante du génocide de ce mouvement, attribuant au passage au groupe armé la faute de son tragique échec politique, ce qui est certain est que ce fut le résultat de l’impossibilité de l’Etat de garantir les conditions de sécurité nécessaires et freiner l’assaut armé de divers secteurs des élites régionales qui virent dans cette nouvelle force politique une menace réelle pour le statu quo.

Une deuxième limite est liée à la difficulté qu’auraient les FARC à sortir du lot dans l’actuel système politique. Contrairement aux espoirs et aux airs de changements que généra l’Union Patriotique dans un contexte national où les FARC n’avait pas atteint un niveau de dépréciation généralisée, le grand défi de la discussion à ce point des négociations est comment composer entre l’antipathie qu’elles soulèvent dans différentes sphères de la société et la légitimité ainsi que le pouvoir politique qu’elles ont réussi de fait à construire dans diverses partie du pays.

Un pouvoir politique qui, aussi paradoxal que cela paraisse, est sa plus grande faiblesse. La consolidation d’une base sociale matérialisée par les colons, étant une catégorie sociale en transition, tendra à disparaître tandis que disparaîtra la frontière agraire du pays[6]. En ce sens, de la disposition des FARC de concilier politique et nouvelles expressions, telle que Marche Politique[7], en allant au-delà de ses propres plateformes politiques comme le PC3 ou le Mouvement Bolivarien, dépendra le capital politique nécessaire pour se faire un trou sur la scène politique légale.

 

2.3  Position ambiguë du président Juan Manuel Santos face aux groupes qui s’opposent au processus de paix

Du point de vue du monde politique national, bien qu’il existe un engagement clair du président Juan Manuel Santos à mener à terme les négociations avec les FARC, la simultanéité du processus de paix avec une éventuelle campagne politique de réélection affecterait la marge de manœuvre et la capacité du président à céder sur des aspects qui, bien que résultant inconvenants pour ses intérêts immédiats, ne le seraient pas tant pour un pays qui a besoin d’imaginer de nouvelles formes et des mécanismes de réduction de la violence associée au conflit armé ; la participation politique des FARC étant une des principales mesures à mettre en oeuvre.

Bien que comme le dise le même président Santos, la limite pour arriver à des accords est novembre de cette année ; ceci supposant par chance qu’une grande partie de ces accords serait convenue avant le début officiel de la campagne. Plusieurs problèmes se posent dès maintenant, surtout considérant les positions ambiguës et les signaux contradictoires qu’envoie le président dans ses déclarations. Il se trouve dans l’obligation de parler à deux publics distincts, mais
de valeur égale en termes électoraux : il est celui qui est assis à la table des négociations, traitant d’établir des accords et il est celui qui renvoie à une grande quantité de citoyens, beaucoup d’entre eux désabusés par le processus, une posture « forte » et « intransigeante ».

Ce qui précède dérive d’une situation compliquée qui a ses jours comptées car le développement des dialogues obligera éventuellement le président Santos à camper sur une de ces deux positions : ou bien un appui inconditionnel à la paix et aux conventions qui s’établissent à La Havane, ou bien une option guerrière dans la lignée de son prédécesseur. Cependant, en optant pour la première alternative, Santos devra être conscient de la nécessité de construire des coalitions politiques pro paix qui soient suffisamment robustes pour lui permettre de contrecarrer la coalition menée par Alvaro Uribe et ses responsables qui privilégient ouvertement une résolution militaire.

 

  1. Propositions

 Face à la situation décrite précédemment, le CINEP/PPP propose diverses initiatives et recommandations qui aideraient à venir à bout de certains problèmes et limites identifiés.

 

3.1  La création d’un comité qui élabore et socialise une information claire sur ce qui est produit lors des négociations et qui contribue à une culture de paix

Devant l’existence d’une culture politique adverse à la paix, en grande partie résultant des messages fragmentaires et faussés des grands médias qui reproduisent des matrices discursives qui se syntonisent à propos d’une image manichéenne de la politique, le CINEP/PPP appuie l’initiative du professeur Medofilo Medina qui propose la création d’un comité de caractère national composé de journalistes indépendants, leaders d’opinions, académiciens et personnes de secteurs de la société civile intéressés par le thème de la paix, dont la fonction principale serait d’analyser les discours et les nouvelles qui circulent lors des échanges dans les négociations dans le but de fournir une information beaucoup plus pondérée et impartiale ; une information qui montrerait qu’il y a deux parties dans la discussion et que, bien que la négociation se déroule au milieu du conflit, ce fait ne la rend pas moins légitime. Au contraire, elle oblige à s’appuyer sur tout type d’accord dont la fin ultime serait la réduction de la violence dans le pays.

  

3.2  Recommandations pour reformuler les principes mêmes de l’Etat et garantir sa présence effective dans les lieux où opère la guérilla       

Le CINEP/PPP est en phase avec le signalement de la responsabilité de l’Etat à garantir la sécurité des guérilleros qui décide de recourir à un éventuel accord et des civils qui habitent dans leurs zones d’influence. Nous considérons que cette responsabilité implique de prendre en compte le besoin de promouvoir quelques changements dans la structure étatique et dans la relation qui lie l’Etat à la société.

Une réorientation du modèle de l’Etat.

Historiquement, la formation de l’état colombien a été, en grande partie du
moins, le résultat d’efforts pour contenir la menace « d’ennemis intérieurs » qui se disputèrent le monopole légitime de la violence, aboutissant ainsi à ce que la logique militaire prévale sur la logique sociale. Devant l’actuel conjoncture, il est nécessaire que les principes mêmes de l’Etat soient reformulés en accord avec la paix et coïncident avec une infrastructure qui priorise les affaires civiles sur les affaires militaires.

Réformes se référant à l’environnement fonctionnel et territorial de l’Etat.

En ce sens, il est nécessaire d’investir significativement dans la création d’une trame bureaucratique autonome qui réponde de manière agile aux nouvelles exigences post-conflictuelles et qui reconnaisse, dès sa conception, les problématiques régionales et locales à prioriser dans chacun de ses sphères d’action. Bien que le thème ait avancé avec la restructuration de l’Etat qu’a promu le président Santos, il faut approfondir à travers une socialisation adéquate de cette nouvelle bureaucratie qui assure que ses préférences comme ses fonctionnaires s’alignent avec l’orientation pro paix du gouvernement, ce qui éviterait un comportement opportuniste de ce nouveau personnel, et surtout réduirait la probabilité qu’ils terminent influencés au niveau local par des intérêts contraires à la paix.

De la même manière, il est urgent que l’Etat repense sa stratégie militaire de consolidation territoriale en accord avec la conception de nouveaux mécanismes institutionnels qui permettent de générer un lien réellement démocratique entre le centre et les régions qui, à la fois, réduise les disparités territoriales en termes de respect de la loi et de qualité démocratique. Nous avons besoin d’un état qui fournisse véritablement les biens publics dans les régions et initialise des dynamiques de développement qui permettent de surpasser les conditions d’exclusion, d’inégalités et de pauvreté qui alimentent le conflit armé dans le pays.

Un Etat qui voit dans la société civile un allié et non un adversaire.

Dans le cadre de la conception de ces réformes et d’autres, il est fondamental de réussir à capitaliser les initiatives civiles de paix qui se sont structurées, avec différents niveaux de succès, dans les régions du pays. L’accumulation de connaissances qu’ont ces organisations à propos des évènements violents qui ont touchés plusieurs communautés, la confiance qu’ont en celles-ci les populations et les moyens locaux qu’elles possèdent, sont trois facteurs qui les convertissent en alliés stratégiques quel que soit la tentative de l’Etat pour intenter la mise en place de mesures alimentant la construction de la paix. 

 

3.3  Possibles réformes politiques qui promeuvent une participation active des FARC dans les affaires publiques du pays

Face à la difficulté qu’aurait la guérilla pour s’intégrer au système politique actuel et prévoyant le fracassant échec d’une éventuelle participation aux joutes électorales, il est important de se demander quelles seraient les réformes politiques qui garantiraient aux FARC la capacité suffisante pour influer sur les décisions politiques fondamentales liées à ses principales revendications. Surtout en prenant en considération qu’elles auraient à ce point abandonné les armes, leur principale ressource politique depuis des décennies.

Il s’agirait d’une
opportunité qui, bien capitalisée, permettrait à la guérilla de se construire une nouvelle image publique basé sur son engagement pour la paix.

Ainsi, le Cadre Légal pour la Paix, constitue l’instrument juridique qui permettrait la réalisation et l’approbation de ce type de réformes. Avec l’envie de profiter de cette opportunité, nous distinguons au moins trois types d’initiatives dans ce domaine qui devraient peser dans le cadre de diagnostics plus élaborés ; de telle manière qu’ils permettraient de penser aux effets de ce type de réformes, positifs ou non.

Ces trois initiatives sont :

i)              Arrangements politiques de « pouvoir partagé » en local[8]

Au sein de la littérature sur la construction de la paix, les accords de partage du pouvoir sont les mécanismes qui, en grande partie, contribuent à la stabilité post-conflictuelle[9]. Bien qu’ils soient régulièrement taxés de peu démocratiques et accuser de plonger des sociétés entières dans l’immobilisme, ce qui est sûr c’est que l’expérience a montré en premier lieu que bien qu’ils aillent parfois à rebours des principes démocratiques, ce sacrifice est nécessaire pour l’avancée de la paix. En second lieu, le problème de l’immobilisme peut être dépassé s’il existe des limites de temps et des garanties institutionnelles qui permettraient que les dites limites soient respectées par ceux qui s’engageraient dans l’accord.

Dans le cas colombien, on pourrait penser à des chemins de traverse, des variantes, qui permettraient leur implémentation au niveau local, reconnaissant en effet qu’à cette échelle territoriale la guérilla a construit un pouvoir politique significatif et développé une capacité impressionnante de gestion des affaires publiques, parfois meilleure que celle de l’Etat. Sur le plan politique, des gouvernements locaux temporaires de coalition pourraient être mis en place dans les zones où les FARC ont eu une présence historique.

Dans ces coalitions pourraient participer uniquement les ex-combattants qui n’auraient pas été accusés de crime de lèse humanité. Une décision telle que celle-ci permettrait : (1) que les FARC s’adaptent positivement au jeu politique ; (2) qu’ils amorcent un processus de construction de pouvoir basé sur la réputation et qui couvrirait le local aussi bien que le national ; (3) que se construise un climat de confiance entre d’anciens adversaires qui ont interagit pendant des décennies jusqu’à se convertir en « ennemis intimes ».

Considérant qu’une telle mesure bénéficierait en principe aux hauts commanditaires de la guérilla, des arrangements de pouvoir partagé sur le plan militaire devraient aussi être mis en place en parallèle et qui impliqueraient les commandants de moindre garde et les autres secteurs de base de l’organisation armée. On pourrait réfléchir à la possibilité que ces agents armés, une fois qu’ils cesseraient leur activité illégale, pourraient être intégrés à une force publique mixte. Cette mesure, non seulement aiderait à assurer les conditions
matérielles des démobilisés en leur apportant de l’emploi et en assurant une croissance immédiate d’une force qui empêcherait que le vide laissé par la guérilla soit comblé par un autre groupe armé ou par des bandes dédiées au trafic de drogues.

ii)             Réformes du système électoral

Un autre des possibilités qui devraient être considérées serait la création de circonscriptions spéciales qui permettraient que les intérêts des FARC soient reflétés au niveau national, à nouveau pour une période limitée. Par exemple, Ivan Marquez a proposé la création d’une circonscription paysanne. Bien qu’il s’agisse d’une mesure symbolique plus qu’effective – en toute proportion gardée, un ou deux élus supplémentaires au Congrès ne feraient pas une grande différence dans le processus de prise de décision – l’initiative est intéressante dans le sens où elle constitue une reconnaissance publique à caractère politique de l’organisation armée. Quelle que fût la justification de cette mesure, ceux qui la penseront devront partir de suppositions basées sur la réalité et essayer de comprendre que la création d’une circonscription n’implique pas nécessairement un lien automatique avec les intérêts qu’elle est censée représenter[10]. Même ainsi, nous considérons qu’il s’agit d’une proposition courageuse qui doit être considérée.

iii)            Soutien de l’état aux nouvelles organisations politiques

Faire de la politique n’est pas une tâche aisée et requiert un investissement significatif en termes de ressources logistiques, d’infrastructures organisationnelles, communicatives, techniques, électorales et financières. Pour cette raison, l’Etat devrait envisager, en parallèle des propositions de réforme, une stratégie de financement et d’accompagnement des nouvelles organisations politiques qui naîtront de la démobilisation des FARC. On pourrait penser par exemple à des mesures telles que le virement de ressources financières qui seraient rattachées ou bien à la construction d’infrastructures organisationnelles d’un nouveau parti, ou bien aux frais de campagne. Ceci dans le but d’éviter un emploi inadapté de l’argent qui dériverait en limitations pour la planification et l’exécution de ces derniers, tout autant qu’en de possibles conflits internes.

 


[1] Ce document est le résultat d’une conversation modérée par l’équipe d’Etat et Conflit du CINEP/PPP à laquelle participèrent, en plus des chercheurs du Centre, les professeurs Alejo VARGAS, Medofilo MEDINA et Omar FERNANDZ de la COSMOSOC (Coalition des mouvements et organisations syndicales de Colombie) et qui eut lieu ans les installations du CINEP le 05 février 2013.

[2] On précise ici qu’on ne cherche pas à prétendre que le thème de la participation politique soit plus important que les autres points de l’agenda, comme le clarifia Alejo VARGAS dans son intervention.
Les agendas de négociation sont complexes et il n’y a pas de points plus importants que les autres. Cependant, ce qui est mis en évidence est que lors d’une éventuelle négociation, les possibilités de soutenabilité dépendront des réussites politiques.

[3] Ceci n’implique pas qu’il faut ignorer que le conflit armé et la violation des droits humains sont les éléments qui, peut-être de manière encore plus forte, déforme l’exercice de la démocratie colombienne. Ce que nous souhaitons mettre en avant c’est que bien que la clôture du système politique du Front National fut en effet une des causes de l’origine des FARC, ce serait une erreur d’ignorer les processus d’ouverture politique qu’a connu le pays durant les dernières décennies. Ce qui apparaît évident depuis l’apparition de la violence, c’est qu’elle a interagit avec la démocratie du pays, de manières diverses et complexes, sans avoir nécessairement affecté la stabilité du système au niveau macro. Voir : Nasi, Carlo (2012) “Instituciones Políticas para el Posconflicto” ; Rettberg, Angelika (comp.) (2012) Construcción de Paz en Colombia. Bogotá: Universidad de Los Andes. P. 51-88; Gutiérrez, Francisco (2011) “La Constitución de 1991 como pacto de paz. Discutiendo las anomalías”; Estudios Socio-Jurídicos. Vol. 13, (1): 419-447. 

[4] A peine 27% des citoyens interrogés montrèrent une attitude de soutien, un chiffre préoccupant qui, s’il ne doit pas appeler au fatalisme, indique une certaine prédisposition à appuyer dans des situations exceptionnelles des alternatives qui ne sont pas nécessairement empruntes de valeurs démocratiques. Voir Rodríguez-Raga, Juan Carlos y Seligson, Mitchel (2013) Cultura Política de la Democracia en Colombia y las Américas. Universidad de Los Andes-USAID. Pp. 126.

[5] Ibid., pp. 206.

[6] Cette idée correspond à l’intervention du professeur Medofilo Medina.

[7] Selon Medofilo Medina, ce qui est mis en évidence le 23 avril 2012, avec le lancement officiel de Marche Patriotique, fut l’irruption d’un nouveau mouvement politique de gauche qui, donnant un aperçu du monde rural colombien et de ses problèmes historiques, le fit à travers de pratiques organisationnelles différentes de celles de la gauche traditionnelle. Tout d’abord parce qu’il s’est structuré sous un schéma décentralisé qui considère le plus désirable : moins de comité exécutif national et plus de force régional, ce qui permettrait de générer des ancrages solides. Ensuite, parce qu’il est évident à la vue de sa composition qu’une relève générationnelle importante, où bien que prévaut le rural sur l’urbain, les alliances et liens avec les universités régionales et d’autres organisations et réseaux nationaux et internationaux, ont aidé à
refermer la brèche entre les différents espaces. Enfin, car avoir recours aux nouveaux moyens de communication a facilité l’élargissement de réseaux avec des collectifs, ce qui n’aurait pas été possible avant.

[8] Dans le langage commun, selon Kathrin Heitz, les arrangements de pouvoir partagé se comprennent comme « une situation dans laquelle une des parties renonce à une portion de son pouvoir pour la partager avec un autre groupe, de telle manière que beaucoup d’autres personnes puissent participer et décider du sort d’affaires publiques importantes pour une communauté ». Voir Heitz, Kathrin (2009) “Power-Sharing in the local arena” dans : African Spectrum, vol. 3: 111.

[9] Norris, Pipa (2008) Driving Democracy. Do Power-Sharing Institutions Work. Cambridge University Press; Hoodie, Matthew y Hartzell, Caroline (2003) “Civil War Settlements and the Implementation of Military Power-Sharing Arrangements” En: Journal of Peace Research, vol 40 (3): 303-320.

[10] L’expérience des circonscriptions indigènes et afro est la démonstration d’un dessein institutionnel très bien intentionné qui, à partir de postulats et de mauvais diagnostics (par exemple l’existence du vote ethnique : l’afro vote pour l’afro et l’indigène vote pour l’indigène), dériva en une série d’effets inattendus désastreux concernant le problème visé. Voir Escandón, Marcela (2011) Circunscripciones especiales indígenas y afro (1991-2010). Cuestionamientos a la representación identitaria en el Congreso de Colombia. Bogotá: Universidad de Los Andes