ENTRETIEN. Rodrigo Maranhao à propos de l’imaginaire de la banlieue.

G7N Saint-Martin d'Hères rap quartierDepuis le printemps 2012, Rodrigo Maranhao et Yvan Zambrano, deux étudiants en sociologie venus du Brésil pour étudier à Grenoble, dirigent le projet « Imaginaire de la banlieue » qui les a conduit à collaborer avec des jeunes de 18 à 24 ans de Saint-Martin d’Hères, aux portes de Grenoble. Réunis librement autour de l’envie de coconstruire ensemble un moyen d’expression autour du thème de cet imaginaire, si souvent posé comme problématique, Rodrigo, Yvan et ces jeunes adultes ont choisi la vidéo pour mettre en image le texte du groupe de rap G7N.

Interview réalisée en juillet 2012 par Florent Blanc

(le clip est disponible à la suite du texte)

Rodrigo, dans le cadre de ce projet, quel rôle particulier joue ce clip vidéo ?

Conçu en miroir de travaux auxquels nous avons tous les deux participé à Sao Luis, dans l’état brésilien de Maranhao, le projet que nous menons a pour but d’en apprendre un peu plus sur l’imaginaire de la banlieue française. Sans présumer d’une quelconque unicité de la banlieue ni en tant qu’objet d’étude, ni de communauté humaine, nous nous sommes fixés comme terrain d’analyse Saint-Martin d’Hères pour sa facilité d’accès depuis le campus mais aussi parce que nous y avons trouvé un groupe de jeunes prêt à travailler ensemble.

Le clip, qui résulte de ce travail, explore donc cet imaginaire de la banlieue tel que l’expriment les membres de ce groupe. Cette représentation montre leur rapport à l’espace, mais aussi à l’histoire et aux relations qui sous-tendent le lieu où ils ont grandi, et où certains vivent encore.

Parler d’imaginaire c’est penser la perception de l’autre sur soi, c’est aussi se penser. Il y a donc dans cette réflexion une prise en compte du contexte dans lequel on s’exprime mais aussi de celui dans lequel l’image ou les images vont être comprises. Destiné à être diffusé, montré, et même relayé par les moyens de communications modernes (diffusion par les réseaux sociaux et les sites de diffusion de vidéos), le clip produit est donc destiné aux proches, aux amis, mais aussi à des inconnus qui ne partagent pas forcément la même réalité sociale.

L’idée de réaliser un clip permet d’éviter l’écueil de trop de projets qui restent sur place, sans diffusion et donc éphémères.

Quelle a été la démarche que vous avez suivie au cours de cette collaboration ?

Le constat qu’Yvan et moi avions dressé à l’origine du projet était le suivant : trop de projets à destination des publics jeunesses sont prédéterminés et en quelque sorte imposés. Du coup, la réaction des intéressés est au mieux relativement passive et au pire un complet désintérêt et donc une non-participation. Nous avons voulu proposer une
collaboration sans arrière-pensée, sans présupposé ni plan. L’idée était celle de rapprocher les acteurs associatifs et des jeunes volontaires. De cette relation allait naitre ou pas une réalisation concrète et des liens. Le format d’expression est venu rapidement, naturellement. Seule la thématique de l’imaginaire de la banlieue constituait une trame.

La construction de la forme faisait donc partie intégrante du projet pour nous permettre d’observer comment les jeunes se mobilisent autour d’un but commun, ce qui est après tout le but d’une association.

On comprend la démarche mais alors pourquoi la vidéo?

Le groupe que nous avons rencontré au printemps 2012 était composé de trois personnes clés déjà mobilisées autour d’un projet de hip-hop depuis plus de trois ans. Le groupe G7N (« j’ai cette haine », ndlr) avait déjà écris une chanson, « Destinée » qui évoque leurs vies, leur histoire. Le thème collait bien avec la thématique du projet, on a donc décidé mutuellement de faire le clip pour aller avec le texte.

Que dit ce texte? 

Il parle de leurs vies, de ce qu’ils vivent au quotidien : la rue, l’école, l’échec et la réussite, l’adolescence et la drogue, leur prise de conscience des dégâts de la drogue au quotidien. Mais a travers cette chanson, ils expriment leurs points de vue, leurs positions sur la société qu’ils voient, leur famille.

Ils expriment aussi leur volonté de réussir et c’est important de noter que pour eux il faut travailler sur soi pour réussir. Il y a aussi un souci de partager la réussite avec les autres, les proches, les amis et la famille. Pour Rodrigo, le collectif qui s’est formé autour de ce clip répond aussi à une logique de thérapie de groupe, pour penser à autre chose, montrer une autre image de la banlieue, créer des liens. Dans ce projet, il y a un souci de la recherche, une quête de reconnaissance.

Mais cette reconnaissance, elle vient de qui et surtout elle se manifeste comment ?

Dans l’imaginaire de la banlieue, les acteurs se projettent avec la notion de l’échec, de l’exclusion. Il y a souvent cette question de l’échec. Lors des entretiens on voit un pessimisme de départ, cette notion que tout est joué d’avance.

Par exemple, un jeune qu’on a interviewé. Il a 23 ans, CAP de boulangerie. Il gagne 1200 euros par mois mais il est pas content, il voudrait plus parce qu’il paie 300 euros à sa mère chez qui il vit. Il a une voiture mais il a peur de la casser. Il regrettait qu’à l’école il n’ait pas fait un choix différent. Il aurait voulu être autre chose que boulanger.

Mais est-ce que les jeunes de 15 ans se posent vraiment la question de ce qu’ils veulent faire. Pour Rodrigo, il y en a surement, mais c’est pas beaucoup, c’est plutôt rare de se projeter comme ça dans l’avenir. De cet échange intéressant, il est ressorti que l’enquêteur gagne moins, mais surtout que parfois ces jeunes ont du mal à voir ce qu’ils ont au profit de ce qu’ils voudraient. Pourtant il a un travail et un toit.  Dans le quartier, on se conforme à la règle qui veut que la réussite se mesure au dessus de 1200 euros.

Et au Brésil, comment ça se passe le travail auprès des jeunes ?

Les conditions sont très différentes. On doit travailler avec des jeunes qui pour la plupart sont analphabètes. Ce qui complexifie les conditions de travail. Surtout que l’école n’existe pas de la même manière, comme structure de vie.

La France n’est pas dans cette situation là. Même dans les quartiers, les jeunes sont absents pendant les vacances. Au Brésil, pas de vacances, les jeunes sont là 365 jours par an.

Qu’est-ce qu’on voit dans le clip ?

On y voit des lieux de vie, les batiments où ils habitent, la place où les jeunes se rencontrent pour parler. Tous les participants se connaissent depuis l’enfance. Les choix de lieux représentent bien l’imaginaire attaché au vécu du quartier. Ils ont choisi des symboles de leur vie : le lieu où je suis né pour le montrer en dehors du quartier. Puisque ce clip va être diffusé, ils ont fait le choix de parler et de montrer leur vie. C’est très significatif.

Même si deux d’entre eux ont quitté le quartier, ils y reviennent pour travailler avec les autres jeunes du quartier. En montrant leur lieu de vie, ils veulent aussi montrer où ils sont parvenus : ils ont créé une association pour structurer la vie des jeunes du quartier, créer un espace pour les autres.

Pourquoi le choix d’une esthétique du noir et blanc dans le clip ?

Parce que le noir et blanc valorise les images. Le coté vieilli de certaines images permet d’intégrer la notion de flashback et donc de progression de chacun des personnes dans sa vie. Mais ces effets sont le fait de l’expert technique présent sur le projet.

Est-ce qu’il y a une grammaire de la banlieue que tu vois dans ce clip ?

Ils ont demandé à un ami de venir faire une cascade en vélo; il y a des jeunes qui portent des maillots de foot. Le langage corporel parle de la banlieue : le regard dur, les lunettes de soleil, le visage fermé, les bras croisés pour regarder la caméra avec le même air, la même identité qu’on imprime sur la pellicule. Un style vestimentaire aussi qui fait partie de l’identité qu’ils veulent projeter à l’extérieur.

Devant la caméra, les jeunes rentrent dans le stéréotype et jouent leur rôle. Hors caméra, l’attitude est différente. Mais le langage corporel est marqué quand il est filmé. Un air de défiance. On voit aussi les bâtiments : une grande tour où les trois chanteurs du groupe ont habité à une époque ou l’autre de leur vie. On voit aussi la cage d’escalier de l’immeuble où habite un autre. Il y a un attachement au lieu où j’habite.

Par contre on ne voit pas, dans le clip, d’images d’un habitat dégradé. Lors d’une prise de vue, les jeunes ont cherché à déplacer les poubelles pour ne pas montrer cette image au public. Il y a donc une réflexion sur l’image projeté, qui veut changer l’image de la banlieue lieu dégradé. Ils veulent montrer du positif pour casser l’image.

On les voit également s’exprimer sur la fierté du travail accompli. Ils ont voulu filmer les CDs qu’ils ont produits, mais aussi les polos et les casquettes réalisés à l’effigie du groupe. Ils voulaient soigner l’image de leur quartier, la leur mais aussi celle de leur travail. C’est venu naturellement.