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OPINION. Gene Sharp et l’apprentissage de la lutte non violente
Marie-Anne Divet. A six ans de la retraite, Jean Marichez, ingénieur de formation et cadre supérieur dans une multinationale, reçoit comme un déclic la lecture du livre de Gene Sharp, « Lutter autrement », offert par un ami sur les méthodes nonviolentes de résolution de conflits. Piqué par le virus, de lectures en conférences, il creuse le sujet, l’approfondit et crée un groupe à Chambéry où il vit.
Entretien avec Jean MARICHEZ
En 1994, l’heure de la retraite sonne. Jean Marichez ne se sent pas à la hauteur en anglais pour comprendre les textes des chercheurs. Qu’à cela ne tienne, il s’y met, part quatre mois à Londres puis deux mois à Boston où, tous les après-midi il se rend à The Albert Einstein Institution, là où réfléchit Gene Sharp. C’est près de Harvard où de nombreuses équipes universitaires ont travaillé pour lui.
On peut dire qu’aujourd’hui, il y a en France deux approches de la Non-Violence.
Une voie plus philosophique, celle que trace depuis des années quelqu’un comme Jean-Marie Muller et une voie plus pragmatique, centrée sur les méthodes, sur le « comment faire? » déjà développée par Gene Sharp dans sa thèse de doctorat « The Politics of Nonviolent Action: A Study in the Control of Political Power », en 1968 à l’Université d’Oxford.
Alors qu’il a été très jeune convaincu par Gandhi, Gene Sharp s’interdit de parler de Non-Violence. Le mot est connoté, trop chargé. Il veut avant tout pouvoir communiquer y compris avec les militaires qui associent souvent « Non-Violence » à « pacifisme » et , à partir de là, dit Gene Sharp, on ne peut plus discuter. Pour cela, il refuse le nom au profit de l’adjectif « nonviolent » qu’il associe à des mots comme lutte, résistance, action etc. C’est volontairement qu’il écrit nonviolent d’un seul tenant dans les traductions françaises afin de sortir des connotations habituelles.
Son travail de recherche s’appuie sur l’étude d’une centaine d’expériences de luttes nonviolentes menées au cours du XXième siècle. Il en a tiré un guide pragmatique de méthodes et de pratiques utiles, un mode d’emploi de l’action civile, non par éthique mais parce que cela marche. En Egypte ou en Tunisie, par exemple, les gens ont mené des actions nonviolentes, sans faire appel à des théories ou une philosophie. Ils l’ont fait parce que la pratique est efficace.
Aujourd’hui, on peut dire qu’une cinquantaine de mouvements révolutionnaires ont suivi les techniques étudiées par Gene Sharp, aux Philippines, dans les Pays Baltes, au Kosovo, en Ukraine, en Géorgie etc. et dernièrement en Egypte et en Tunisie. Ces techniques sont enseignées par le centre de formation pour l’action nonviolente CANVAS (Center for Applied NonViolent Action and Strategies), créé par les meneurs de la résistance à Milosevic à Belgrade en Serbie.
Cette organisation a reçu des subsides de la part d’ONG états-uniennes, ce qui a fait dire à certains détracteurs que Gene Sharp était soutenu par la CIA. C’est faux: Gene Sharp est un chercheur et uniquement un chercheur qui vit pauvrement de sa retraite de professeur et de ses écrits.
C’est un vieux monsieur modeste et très abordable, très doux mais d’une rigueur implacable dans ses recherches et ses écrits. Les mots sont choisis, il n’y en a pas un à la place d’un autre. Chaque recherche donne lieu à un énorme travail de vérification: les recherches historiques, par exemple, sont faites par les historiens du pays concerné. Il en va ainsi dans toutes les autres disciplines. Quand on lui parle de l’application de ses méthodes, « le peuple a tout le mérite de ce qu’il fait » martèle-t-il. Ce n’est pas un militant mais un chercheur dont le discours est la seule forme d’action.
Depuis trois ans, son nom est régulièrement cité parmi les possibles Prix Nobel de la Paix.
Cette contribution est reproduite avec l’autorisation d’Histoires Ordinaires qui l’a publiée au printemps 2012.
Crédit photo: Florent Blanc, Chicago 2007 (c)