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METHODE – Prévenir les conséquences négatives des programmes d’aide: la méthode Do no harm
Florent Blanc. Fin septembre 2013, Coordination Sud organisait une séance de formation à la méthode Do No Harm. Base essentielle de l’action humanitaire mais aussi de la culture de la solidarité internationale, cette méthode de construction et de conduite de projet permet d’identifier et de palier aux conséquences négatives involontaires des actions d’aide. En postulant que l’aide n’est jamais neutre, mais plus encore que sa mise en oeuvre a des conséquences directes sur le conflit lui-même, cette méthode propose de réfléchir avant d’agir.
Coordination Sud proposait les 25 et 26 septembre, une formation sur la méthode Do No Harm, mise en œuvre dans le monde des ONG de solidarité internationale. L’idée pour l’Ecole de la paix était de se doter d’une méthodologie de conception et de gestion de projet à même de approfondir sa démarche, sa présentation de projet et de chercher à mieux concevoir l’impact de futurs programmes. Réalisée par Christoph Mohni, expert formateur en méthode DNH, la formation a pris la forme de 4 demi-journées organisées en temps de présentation théorique, exercices de simulation et séances de réflexion collective. Avec 7 participants seulement, le temps de formation a été efficace, l’interaction grande et les échanges bénéfiques. Parmi les participants se trouvaient des personnels de Caritas International (Congo-Kinshasa), Living Earth (GB), Coordination Sud, la Ligue des Droits de l’Homme et d’autres petites structures.
1. Présentation de la méthode
Do No Harm fait référence au serment d’Hypocrate qui enjoint les médecins à ne pas utiliser leurs connaissances pour faire du mal. Appliquée par l’ONG américaine Collaborative for Development Action (CDA), basée à Boston, l’injonction éthique est devenue le nom d’un projet initial d’étude des pratiques des ONG internationale de solidarité visant à analyser leurs pratiques. De cette première phase d’analyse, CDA a tiré une méthode dont le but est d’éviter que l’aide internationale ne vienne créer, par son impact, un renforcement des causes de tensions sur un terrain de crise ou de mise en œuvre d’un projet humanitaire.
En prenant appui sur les peace studies, et surtout les travaux de Johan Galtung concernant l’idée de paix positive (caractérisée par l’idée que la paix permet à toutes les parties au conflit de sortir gagnantes, à la différence d’une paix imposée par la victoire d’un camp et la concession d’un autre), la méthode Do No Harm, s’intéresse tout particulièrement aux conséquences non-intentionnelles négatives de l’intervention extérieure.
En proposant une matrice d’analyse de projet, DNH permet d’identifier les aspects porteurs d’un impact négatif pour un projet, lors de sa conception ou en cours de mise en œuvre, en proposant alors un travail sur les options disponibles pour palier aux difficultés engendrées et maximiser l’impact positif.
2. DNH et l’analyse des conflits
En se basant sur l’analyse des pratiques des acteurs de l’intervention humanitaire dans les années 1990, les membres de l’ONG Collaborative for Development Action sont partis du principe que les conflits sont en perpétuelle évolution. Dès lors, toute intervention extérieure en modifie les formes et les rapports de force entre parties. Pour le CDA, l’intervention extérieure agit sur mais aussi au sein du conflit. Dès lors, elle n’est pas neutre et son impact sur les conflits doit être appréhendé avec attention. La réflexion autour d’une méthodologie d’action débute avec la question suivante
« Comment intervenir, dans des contextes de tensions et de conflits, sans pour autant que le transfert de ressources n’affecte négativement le conflit lui-même, aide les populations locales tout en favorisant un changement des pratiques de la gestion des tensions ?«
La prise en compte de ce questionnement implique donc, tout au cours du projet, d’analyser continuellement l’évolution du terrain et des réactions des populations locales tout autant que des forces en présence. Le but est de comprendre les tensions évidentes, mais aussi les conflits latents qui prennent racine dans les tensions cachées et les formes de domination masquées. Outre la capacité d’analyse, il est donc essentiel de s’appuyer sur les connaissances des gens de terrain (experts, autorités, groupes de parole). Le risque étant bien que l’action extérieure vienne renforcer des tensions latentes, aggravant ainsi le conflit au lieu de participer à sa résolution ou à l’amélioration du sort des populations affectées.
3. De l’analyse du conflit à l’identification des facteurs
La méthode DNH prend appui sur l’identification des facteurs qui connectent une population-cible (« connectors« ) et de ceux qui la divisent (« dividers« ). Ces facteurs peuvent être des situations, des actions, ou des pratiques. Les éléments qui divisent doivent être traités pour affaiblir les tensions alors que les éléments qui connectent doivent être utilisés comme appuis par les projets d’intervention. Ces éléments de connexion sont alors des « capacités locales pour la paix« .
Les questions suivantes permettent d’identifier les facteurs de division/connexion:
- Quelles sont les menaces actuelles pour la paix et la stabilité? Qu’est-ce qui la soutient?
- Quels sont les facteurs les plus menaçants dans cette situation?
- Qu’est-ce qui peut accroitre les tensions?
- Qu’est-ce qui rapproche les populations?
- Où est-ce que les gens se rencontrent? Qu’est-ce qu’ils font ensemble?
Est-ce que ce connecteur a un potentiel d’optimisation?
connecteurs | diviseurs | |
systèmes & institutions |
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attitudes & actions |
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valeurs & intérêts |
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expériences |
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symboles & évènements |
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Il faut garder en tête que ces facteurs doivent être identifiés de manière très spécifique. Par exemple, répondre qu’un groupe X est un diviseur peut masquer que c’est telle action spécifique de ce groupe qui divise, mais qu’une autre dimension de ses membres peut être vue comme un élément de rassemblement des populations. Les diviseurs et les connecteurs ne peuvent donc pas être des personnes ou des groupes humains. Pour éviter les partis-pris et les erreurs d’appréciation d’une situation, l’évaluation des facteurs de tension et l’identification des connecteurs se fait plus efficacement en équipe.
4. Evaluer les conséquences de ses actions sur le contexte de conflit
En agissant sur un conflit, l’action extérieure devient une partie intégrante de sa configuration principalement à travers les interactions qu’elle met en œuvre. Celles-ci sont de deux types: le transfert de ressources (formation, aide, action…) mais aussi les comportements et les messages transmis par les intervenants.
Le transfert de ressources peut avoir différents types de conséquences sur la configuration du conflit:
- Le vol et le détournement des produits de l’aide qui vient alimenter le conflit.
- L’impact sur le marché local par l’approvisionnement en biens distribués
- Les effets de distribution qui peuvent générer des tensions dans la sélection des bénéficiaires.
- Les effets de substitution puisque l’aide peut modifier les systèmes et structures existantes.
- La légitimation: l’action extérieure, en sélectionnant des partenaires locaux ou en ciblant des populations particulières leur confère ou leur retire une légitimité qui peut avoir des effets importants.
Enfin, la présence sur le terrain d’acteurs extérieurs au conflit est également l’occasion, par les comportements, de transmettre des messages éthiques implicites qui peuvent, tour à tour, être positifs ou pas. Ceux-ci sont de plusieurs types également
- Respect
- Redevabilité
- Equité
- Transparence
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Comportements négatifs |
Comportements positifs |
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Respect |
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transparence |
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Redevabilité |
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Equité |
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5. Présentation de la matrice d’analyse de projet
La méthode DNH prend la forme d’une matrice d’analyse sous forme de tableau (simplifié sur la photo ci-dessus).
Etape 1: la compréhension du contexte conflictuel (conflit ou tensions)
Le degré d’approfondissement de cette phase d’analyse dépend de l’ampleur de chaque projet, mais nécessite, au minimum, de faire l’identification des facteurs de division et de connexion. Ce travail doit être fait avec les partenaires locaux et mis à jour régulièrement au cours du projet.
Pour aller plus loin, lire la note de CDA, sur l’utilisation des dividers et connectors:
http://www.cdacollaborative.org/media/52551/DNH-Guidance-Note-Using-Dividers-and-Connectors.pdf
Outils de cette analyse:
- l’arbre à conflit (voir schéma plus bas)
- analyse des connecteurs/diviseurs,
- cartographie des acteurs: consiste à identifier les 3 ‘A’: arena (zone géographique), actors/stakeholders (partis et institutions en présence) et aspects (c’est-à-dire les positions de chacun, les questions en débat, les causes, les besoins, les intérêts, l’histoire et les potentialités d’évolution).
Etape 2: Comprendre les interactions entre le projet et le contexte conflictuel
Il s’agit ici de comprendre et de tenir compte de l’impact entre les éléments du projet et les facteurs de conflit et de fragilité. Les éléments à considérer sont les suivants: le projet, les partenaires et institutions impliqués ainsi que l’aspect organisationnel envisagé.
Etape 3: Adaptation et choix stratégiques
En se basant sur l’identification des
facteurs de tensions ou de connexion, des décisions stratégiques visant à l’adaptation du projet doivent être décidées. Ces ajustements, ou options, doivent être réalisés régulièrement au cours du projet pour s’assurer qu’aucune conséquence négative non-intentionnelle ne vienne créer de tensions supplémentaires.
Analyse de contexte
Focus: Pour appliquer la méthode DNH à la construction de la paix
- Partir de l’hypothèse que le conflit est dynamique, c’est-à-dire évolutif
- Analyser le contexte à partir du prisme des diviseurs et connecteurs
- Répéter cette analyse régulièrement
- Chercher la meilleure manière de mettre en œuvre la méthode DNH
- Ne pas chercher à créer des connecteurs mais construire à partir de ceux déjà existant dans le contexte donné.
PLUS IMPORTANT: si la construction de la paix est votre but, alors il faut avant tout renforcer les connecteurs
Pour aller plus loin, référez-vous à la note suivante
http://www.cdacollaborative.org/media/52548/DNH-Guidance-Note-Peacebuilding-and-DNH.pdf
6. Rappel des étapes de mise en oeuvre
Il faut analyser les détails et les options.
Ressources pour approfondir
Sur la méthode (du plus simple au plus détaillé)
CLA, DNH Highlights, http://www.cdacollaborative.org/programs/do-no-harm/dnh-program-highlights/
CLA, Options pour l’aide en situation de conflit : leçons tirées d’expériences sur le terrain (manuel téléchargeable)
Etudes de cas de mise en œuvre de la méthode DNH
Abilök Riak, « The Local Capacities for Peace Project: the Sudan Experience », Development in Practice, vol. 10 (3-40), Août 2000
http://academic.udayton.edu/richardghere/NGO%20Man/Riak.pdf
OCDE, Suivi des Principes d’engagement international dans les Etats fragiles et les situations précaires: le cas de la République Démocratique du Congo,
http://www.oecd.org/dacfragilestates/44654756.pdf
Sur l’approche sensible des conflits
SDC, Conflict-Sensitive Program Management: Integrating Conflict-Sensitivity and Prevention of Violence into SDC Programmes, 2012
http://dmeforpeace.org/sites/default/files/SDC_CS%20Program%20Management.pdf
Sur l’analyse des conflits, l’analyse du
contexte de conflit
DME, Reflecting on Peace Practices: Participant Training Manual, 2009
http://dmeforpeace.org/sites/default/files/CDA_RPP%20Manual.pdf
Sur le conflict-mapping
SDC, Conflict Analysis Tools: Tip Sheet
William TSUMA, « Conflict Mapping: Understanding Conflicts for Effective Transformation and Peace Management », 2009