Justice. Une conférence de consensus pour repenser la prévention de la récidive

Par Manon Troussier (IEP Grenoble). Conditions inhumaines des Baumettes à Marseille, surpopulation carcérale, violence, suicides, évasions spectaculaires. C’est dans ce contexte difficile que le gouvernement travaille à la recherche de solutions pour améliorer les conditions de vie en prison mais aussi plus largement le système pénal. Au sein de ce projet de réforme, Territoires de paix s’est intéressé à la mobilisation autour de la question de la prévention de la récidive. En effet, les statistiques du Ministère de l’Intérieur montrent que cinq ans après leur sortie de prison, ce sont plus de 60% des détenus qui sont à nouveau condamnés à une peine de prison ferme (1).

En septembre 2012, Mme Taubira, Garde des Sceaux du gouvernement Ayrault, a mis en place une conférence de consensus sur la prévention de la récidive. Après cinq mois de travaux, le jury de la conférence a remis 12 recommandations au Premier Ministre pour une nouvelle politique vis-à-vis de la récidive (2). Le comité d’organisation était composé de 20 membres dont des élus, des chercheurs, des universitaires, des magistrats, des personnels pénitentiaires, des policiers, ainsi que des responsables d’associations d’insertion et d’aide aux victimes. Les conférences de consensus sont habituellement une méthode du domaine de la santé, utilisées pour rédiger un avis collectif d’experts sur une question controversée. Le but était d’évaluer les réponses pénales actuelles adoptées pour prévenir la récidive, en établir un bilan puis de s’interroger sur les solutions possibles. Un projet de loi doit être élaboré cet été sur la base de ces réflexions. Cette méthode est une première dans le domaine de la justice.

 

La réinsertion : objectif principal

Point central des conclusions de ces réflexions : l’instauration d’une peine de probation, qui serait considérée comme une peine à part entière non liée à l’emprisonnement. Elle fusionnerait toutes les peines alternatives (liberté conditionnelle, semi-liberté, bracelet électronique…). L’objectif est double : protéger la société et les victimes et permettre la réinsertion des détenus et donc réduire la récidive. Ce système impliquerait différents modes de réparation (médiation, travail d’intérêt général, réparation du préjudice, rencontre auteur-victime), des mesures pour lutter contre les causes de la délinquance (injonction thérapeutique, stage de sensibilisation à la sécurité routière, stage de citoyenneté, etc.) ainsi que des facteurs de réinsertion (accès au logement, recherche d’emploi, formation, accès aux soins, etc.). Le non respect répété des règles de la probation entraînerait un renvoi dans le tribunal plutôt qu’un renvoi direct en prison comme c’est actuellement le cas avec les peines alternatives.

Plusieurs pays ont déjà mis en place la peine de probation comme les Pays-Bas, le Canada, le Royaume-Uni et la Suède où elle semble avoir contribué à réduire la récidive. C’est d’ailleurs pour cette raison que le Conseil de l’Europe a adressé une recommandation, en 2010, sur la question : « Les services de probation ont pour but de réduire la commission de nouvelles infractions en établissant des relations positives avec les auteurs d’infraction afin d’assurer le suivi (y compris un contrôle, le cas échéant), de les guider et de les assister pour favoriser la réussite de leur insertion sociale. De cette manière, la probation contribue à la sécurité collective et à la bonne administration de la justice. »

Cette mesure doit être
nécessairement accompagnée d’un renforcement du personnel de réinsertion, dans cette perspective, Mme Taubira a annoncé la création de 300 postes de conseillers d’Insertion et de Probation en 2014. C’est d’ailleurs les carences dans les moyens qui inquiètent beaucoup les acteurs du monde carcéral. Une visiteuse de la maison d’arrêt de Varces estime que le travail en prison doit être plus développé, qu’il faut recruter plus de conseillers d’insertion et de probation qui ont beaucoup trop de dossiers pour pouvoir effectuer un suivi individualisé efficace. En effet les conseillers ont en moyenne 80 à 100 dossiers chacun à gérer, ils ne peuvent s’entretenir avec les détenus toutes les semaines, c’est même parfois difficile de les rencontrer même tous les mois.

La question de la réinsertion doit être abordée de front si ce gouvernement entend réellement lutter contre la récidive en proposant une alternative à la stratégie de la répression accrue menée par l’équipe gouvernementale précédente. La question relève d’une orientation majeure de la société française. En effet, trop souvent les détenus récemment libérés souffrent d’une désocialisation majeure, sont sans formation, sans emploi ou sans logement ce qui rend très difficile un retour à la société. Le jury de la conférence comme la Garde des Sceaux préconisent de mettre un terme aux sorties sèches, surtout pour les courtes peines, c’est à dire que chaque sortie de prison doit être accompagnée (pour trouver un emploi, un logement…etc.). 

La prison ne doit plus être l’unique référence en termes de sanction

Le jury de la conférence, dans ses conclusions, estime que la prison ne doit plus être considérée comme une peine de référence mais comme une peine parmi les autres. Il préconise de supprimer les peines automatiques (peines planchers mises en place par Mme Dati, Ministre de la Justice du gouvernement Fillon en 2007), ces peines ne tenant pas compte du contexte de l’infraction et du parcours de son auteur et n’ayant montré aucun effet scientifique sur la récidive tout en ayant augmenté la surpopulation carcérale. Sur ce point la Ministre de la Justice a déclaré que ces peines seront bel et bien abrogées tout comme la rétention de sûreté ([i]). Ces mesures ayant été prises sont le quinquennat de Nicolas Sarkozy, le Figaro titre : « Comment Taubira démantèle l’arsenal antirécidive » (3).

La gauche doit donc répondre aux critiques, hélas classiques et quelques peu éculées, de la droite de l’hémicycle, la taxant de laxisme. Parmi les 60 engagements de François Hollande pour sa campagne présidentielle en 2012, seulement deux concernent la Justice (mettre en œuvre une nouvelle sécurité de proximité avec augmentation des moyens et garantir l’indépendance de la Justice), restant relativement timide sur la question de la sécurité en campagne électorale.

Sous Mitterrand, le Garde des Sceaux Robert Badinter, outre l’abolition de la peine de mort en 1981, avait pris des mesures pour  développer les peines non privatives de liberté (travaux d’intérêt général, instauration de jours-amendes).

Les chiffres du Ministère de la Justice montrent une augmentation constante de la récidive. En 2000 4,4 % des condamnés l’étaient pour récidive, en 2010 ils sont 11,1 % mais il ne faut pas confondre récidive et réitération. En effet être en état de récidive légale consite à avoir été condamné une première fois pour la même infraction
ou une infraction similaire dans les 5 années précédentes. La réitération est la condmnation, au cours de sa vie, pour d’autres délits (30% des condamnés sont des réitérants).(2) Ce constat d’augmentation constante de la récidive peut s’expliquer par de nombreux facteurs, d’abord par la création de nouveaux délits. Pour la gauche ces chiffres supposent une faible efficacité des politiques antérieures, pour la droite que la répression n’est pas assez importante.

Même s’il y a consensus sur le fait que la prison n’est pas un moyen efficace pour lutter contre la récidive pour les courtes peines (les chiffres témoignent de bien moins de récidive lorsque le condamné est passé par des peines non privatives de liberté) les politiques de ces dernières années n’ont cessées de rendre plus longues les peines d’emprisonnement, ont mis en place les peines planchers, renforçant ainsi le tout-carcéral. Ce blocage politique est souvent justifié par le fait que l’opinion serait très dure sur la question. Or les études menées montrent le contraire. Une Etude menée en 2003 (4) montre qu’une majorité des français se déclare hostile à l’emprisonnement des mineurs (dangerosité de la prison et nécessité de privilégier l’éducatif) et pourtant les sanctions sont devenues de plus en plus sévères. De plus, Mme Taubira a révélé l’existence d’un sondage commandé par le Ministère de la Justice en 2009 et réalisé par l’institut Ipsos sur 3 000 personnes (5), sondage que n’avait pas publié la Chancellerie. Selon ce sondage « 77 % de ces personnes considèrent que la prison ne permet pas de lutter contre la récidive ni de la prévenir ».

Une initiative saluée mais des inquiétudes toujours présentes

Lors d’entretiens menés avec différents acteurs du milieu carcéral et notamment sur le site de la Maison d’Arrêt de Varces quelques points de vue divergent. Si tous sont en faveur d’une réinsertion mieux prise en charge, de moins d’emprisonnement…tous ne sont pas convaincus du système ni des propositions de la conférence et de la Ministre. Une bénévole de l’association Auxilia à Varces (association qui s’occupe de faire de la formation à distance pour des personnes en difficulté) est en faveur de la mise en place de la peine de probation mais tout en soulignant la nécessité d’une organisation efficace, ce qui risque de poser des problèmes de moyens, pour elle le suivi doit être plus individualisé. Il est pourtant difficile pour les bénévoles comme pour les surveillants pénitentiaires de se rendre compte des effets des dispositifs de réinsertion en prison puisque qu’aucun suivi n’est effectué, ils ne sont pas au courant du devenir des détenus. Interrogé sur la question un surveillant pénitentiaire à Varces, juge que les peines alternatives sont utiles mais seulement pour les courtes peines, les personnes n’ayant rien à faire en prison comme les personnes âgées ou les délits routiers et ayant un travail à l’extérieur. Quant à la peine de probation ce ne serait que retarder le problème surtout pour les mineurs, « on leur a donné tellement de chances avant, leur en donner une supplémentaire ça ne servirait à rien ». Pour lui le rôle de la famille est primordial, bien plus que les dispositifs mis en place en prison.

 

Sources :

1. Infographie : ce qu’il faut savoir sur la récidive, Rue 89,12 Septembre 2012.
2. Rapport du jury de consensus
remis au Premier Ministre, le 20 février 2013, Paris.

3. http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2013/02/19/01016-20130219ARTFIG00703-comment-taubira-veut-defaire-l-arsenal-antirecidive.php
4. Pascal Décarpes, « La prison vue par les Français », Champ pénal/Penal field [En ligne], Confrontations, mis en ligne le 05 septembre 2008.
5. « Taubira brandit un sondage sur la prison non publié par ses prédécesseurs« , Le Monde, 6 octobre 2012.

 



[i] La rétention de sûreté consiste à placer un détenu, ayant exécuté sa peine, dans un centre socio-médico-judiciaire de sûreté présentant un niveau de dangerosité élevé. N’étant que très peu appliquée et basée sur une prédiction d’un comportement futur, elle est fortement contestée par le jury de la conférence.