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COLLOQUE. Les rénovations urbaines : devenirs de quartiers, destins d’ habitants
Par Alice Laurent. La rénovation urbaine est un élément central des politiques de la ville et plus généralement des plans d’intervention sociale des collectivités territoriales et de l’Etat, et faisait récemment l’objet d’un colloque organisé à l’Ecole d’architecture de Paris. Alice Laurent a suivi pour Territoires de Paix ces débats.
Solution ultime ou subvention déguisée aux bétonneurs, la rénovation urbaine n’a pas toujours bonne presse. Schématiquement, elle correspond à une décision répondant à un constat difficile. Celui qu’un territoire ne peut plus fonctionner de manière décente ou correcte, que ce soit dans sa dimension sociale, humaine ou économique, et que toute volonté d’amélioration doit passer par la réorganisation architecturale et urbaine de son espace, et donc des interactions qui l’habitent. Dans les faits, le couplet destruction-reconstruction s’est étoffé. L’arsenal de moyens et de techniques mis en œuvre par les programmes de rénovation urbaine viennent s’appuyer sur des approches pluridisciplinaires. Puisqu’il ne s’agit plus seulement de reconstruire des bâtiments mais d’y penser et repenser les rapports humains et l’essor économique du territoire, les manifestations et les recherches à ce sujet se multiplient.
Au fond, les scientifiques se ressemblent. Voici un premier constat : aucun ne parle au singulier de rénovation, comme si la déclinaison au pluriel du terme garantissait la validité intrinsèque des propos tenus. On ne parla donc pas de rénovation mais bien de rénovations, le pluriel permettant à chacun de parler de la sienne. La rénovation qui transforme l’urbain, son tissu, ses infrastructures, son habitat, ses rapports humains ou économiques, celle enfin qui en modifie les dynamiques. Pluralité de finalités, et pluralités de moyens entre construction, déconstruction, reconstruction.
La pluralité s’en ressent sur un autre point, celui du véritable champ lexical qui s’est construit autour du sujet. Une toponymie qui fait la part belle au préfixe « re » : régénération, renouveau, renouvellement.
Le renouveau : transformer, une démarche volontariste
Aux Etats-Unis, les premiers programmes lancés portent le nom d’ « urban renewal », le renouvellement urbain. D’autres formes de renouvellement, d’autres programmes suivront, mais aucune ne reprendra les termes qui définissaient le premier : la nécessité étant de s’en différencier (2).
Le premier pas du processus de rénovation consiste à envisager que quelque chose dans l’urbain ne fonctionne pas et qu’il faut, par un processus volontaire, y remédier. Les villes évoluent, se transforment d’elles-mêmes, sous l’influence de la démographie et des évolutions du tissu économique qui, ensemble, commandent les formes de l’expansion urbaine. L’exemple de Détroit, de la révolution industrielle à la faillite des années 80 et l’exode périurbain actuel, en est la principale illustration.
Rénover, c’est avant tout dresser le constat d’un territoire qui ne répond plus à ses fonctions ou qui ne les remplit plus. Les équipements ou l’habitat doivent alors évoluer. La transformation de l’urbain résulte alors de choix politiques auxquels, c’était l’un des aspects majeurs de ce colloque, les habitants et les acteurs du territoire doivent s’associer et être associés afin d’identifier au mieux les éléments du constat tout autant que les aspirations de ceux qui animeront le territoire.
Je rénove, tu rénoves, nous rénovons
Puisque la rénovation urbaine se distingue du simple ravalement de façades, il est aisé de comprendre que les acteurs de cette politique se distinguent par leur diversité mais surtout par leur multiplicité.
Les études sur le sujet ont souvent distingué plusieurs catégories d’acteurs, celle des publics (les collectivités territoriales et l’Etat, organismes de recherche), celle du privé (bâtisseurs, architectes, urbanistes), et la dernière que la rénovation urbaine semble oublier parfois: les citoyens, habitants, usagers et leurs regroupements. Sans eux, ces changements n’ont que peu de chances de porter tous leurs fruits.
La répartition, évidemment, se voit propre aux quartiers à un moment donné. Le contexte historique, politique, économique de la ville, de la région, du pays sont autant de facteurs qui vont agir sur cette répartition des compétences entre les acteurs. Ainsi, si Israël voit tout projet de rénovation urbaine géré par le seul Etat central depuis bientôt vingt ans (3), ce n’est pas le cas à Sao Paulo, où de nombreux investisseurs privés tentent de se partager l’espace, non pas à construire, mais à reconstruire. En France, si la plupart des HLM sont nés d’une impulsion et de financements du public, d’autres sont d’origine privée, tel l’ensemble du Chêne Pointu à Clichy, sorti de terre au début des années 60 (4). Ce dernier est aujourd’hui l’ensemble issu de la rénovation urbaine le plus endetté de France, et la solidarité des habitants tente de trouver des réponses face à la vétusté des structures et à leur insalubrité. Un système de distribution de nourriture aux plus démunis s’est mis en place, la supérette maintes fois braquée a été reprise par un enfant du quartier. Faute d’ascenseurs, des jeunes sont payés par la mairie pour monter les courses, et des systèmes de monte-charge, bidouillés par quelques habitants bricoleurs, sont restés quelque temps en place le long des façades.
Pourtant, si public et privé semblent se partager le pilotage de tels programmes, la rénovation urbaine ne se limite pas à ses décideurs. Le rôle de l’individu doit être réintroduit et compris comme acteur à part entière. Car ce sont bien les habitants qui vont vivre les promesses de la rénovation, mais aussi eux qui vont devoir vivre les conséquences des programmes mal pensés. Depuis les années 1970 et les premiers plans de réhabilitation, les habitants et les usagers des territoires urbains ont appris à se mobiliser et à exprimer leurs oppositions mais aussi leurs visions d’un avenir auquel ils ne peuvent qu’être associés en tant qu’acteurs à part entière d’une transformation vécue collectivement.
Rénover l’urbain pour accompagner la transformation sociale
Les approches bottom up et top bottom semblent avoir vécu. Leur opposition dichotomique a laissé place à l’idée de co-construction qui se baserait sur la consultation et l’écoute mutuelle entre tous les acteurs.
A l’origine de ce changement de paradigme, comme aiment à le rappeler les chercheurs, la question centrale du logement et plus encore celle du relogement. C’est de loin la facette la plus lourde de conséquences. Dans l’espace urbain, le couple habitat-habitant est central : si les programmes de rénovation incluent des démolitions d’habitats, où loger les habitants ? Si ces mêmes programmes intègrent des reconstructions, seront-elles destinées à ceux que l’on a évincés ? Si les programmes prévoient leur relogement, ces derniers restent ils à proximité du quartier d’origine ?
Un quartier, c’est avant tout un réseau de sociabilités, de solidarités, tissés par et avec ceux qui les vivent. Comme le met en avant la chercheuse Luna Glucksberg (5), on ne devrait jamais sous estimer le deuil que représente l’arrachement au lieu de vie. Les programmes de rénovation ont souvent pour cible des zones délabrées, insalubres, où règne une certaine violence, mais le résultat des programmes tend à produire, à son tour, son lot de violences symboliques. La réhabilitation est synonyme de menaces pour les habitants, comme le montre très bien l’enquête réalisée par Elodie Veyrier pour l’Ecole de la Paix sur le quartier grenoblois de Très-Cloîtres.
Rénover, mais pour qui et pour quoi ?
Cette approche par le bas n’est pas celle de référence chez les concepteurs des projets, l’angle encore trop souvent adopté étant celui de la logique économique, que certains vont qualifier de « néo libérale ». C’est ainsi qu’ont été désignés, par exemple, quelques projets pharaoniques prévus au Caire : l’un voulait tracer une immense avenue boisée et bordée de bâtiments ultramodernes entre le centre-ville et les pyramides à la frontière du désert, rasant des quartiers populaires sur des kilomètres. Le projet, heureusement, n’a pas été retenu.
La rénovation vise alors à accroître le potentiel de la ville, à promouvoir ses atouts en vue d’attirer les investisseurs, les touristes … Autant de pourvoyeurs de capitaux. La promotion se fait via la mise en place d’une vitrine de la ville, des quartiers-clefs vont alors être rénovés, afin de véhiculer une image dynamique, propre et saine. Un tel processus de rénovation néolibérale passe par une explicitation de ce qu’est la gentrification. Les habitants aisés effectuent un retour dans le centre des villes, comme on peut très clairement l’observer à Londres, aux Etats-Unis (lien CG) … Les exemples ne manquent pas. Un accord tacite implicite va alors lier les développeurs privés et les acteurs publics qui se mettent d’accord pour transformer des terrains industriels, laissés à l’abandon, mais aussi à détruire des ensembles de logements paupérisés et dégradés pour récupérer l’espace. Le but est de reconstruire des logements et des espaces commerciaux qui attirent des classes plus privilégiées, et plus « rentables », apportant du patrimoine, un certain prestige ainsi que d’avantage d’impôts, facteurs de dynamisme.
A ce sujet, le chercheur Thomas Kirszbaum (6) développe un point de vue critique. Les politiques justifiant démolitions et évictions par la volonté d’émanciper
les populations de la pauvreté et du crime ne feraient qu’invoquer autant d’alibis. On ne lutte pas contre ces fléaux pour améliorer les conditions de vie des habitants. On transporte problèmes et populations plus loin afin de raser, de faire place nette, et de préparer une nouvelle image aseptisée, ou tout du moins convenables selon des normes internationales et implicitement définies de ce que doit être un quartier. Un tel processus est visible en Chine, à Beijing (7) : le centre historique se voit, quartier par quartier, déconstruit, les populations relogées dans de nouvelles constructions, sortes d’imitations en carton-pâte des précédents bâtiments, certes délabrés, mais de valeur architecturale, culturelle et historique.
Face à ces décisions en inadéquation avec leur terrain, c’est par leur mobilisation que les citoyens vont entrer en jeu. La forme des mouvements citoyens va dépendre des projets, alternant entre timidité et vindication, utilisant des supports de contestation conventionnels et bien rodés, ou user de leur créativité pour interpeller autrement. A Istanbul, les associations de quartier peinent à dépasser leurs luttes idéologiques intestines pour s’allier contre les évictions (8). A Sao Paulo, Paola Ribas, une habitante d’un quartier menacé par un plan de démolition et rénovation intitulé Nova Luz, a monté une pièce de théâtre, « Chat with a megaphone » (9). Elle invite le public, c’est-à-dire le voisinage, à participer en s’exprimant eux aussi dans ce mégaphone à propos du projet de rénovation. D’exprimer leurs peurs, leur ressenti. La pièce de théâtre peut ensuite se poursuivre dans la rue.
Ailleurs, comme dans le quartier Moulin à Lille (10), ou dans celui des Minguettes à Vénissieux, dans la banlieue de Lyon (11), les observateurs ont pu être surpris par la relative absence, dans le débat public, d’habitants mobilisés. Pourtant, les troubles qui s’y sont déroulés témoignaient de problématiques complexes. C’est aux Minguettes qu’a eu lieu la « marche des beurs » en 1983 : le quartier était alors le foyer d’émeutes et d’un mouvement de contestation sociale, alors que prenaient forme les premières tensions périurbaines en France. Mais alors, comment naissent et comment meurent les mobilisations sociales et urbaines ?
A la recherche d’une nouvelle rénovation
Le processus à l’œuvre, soit l’alternance entre décision par le haut puis réponse par le bas, n’est ni sain, ni constructif. Les rapports de force ne sont pas égaux. La rénovation reste pourtant souhaitable, l’élément à repenser serait celui des mécanismes qui doivent l’animer. Les habitants devraient rester au centre du mécanisme, et pas qu’en tant que victimes des corollaires du renouvellement urbain. Ce sont eux qui vivent dans le quartier, ils peuvent apporter une aide précieuse sur ses réelles nécessités en matière de transformation. La démocratie participative remettrait l’homme au centre de son environnement et des transformations qu’on lui apporte, comme le préconise, entre autres, Mohamed Ragoubi (12). Porte-parole du collectif des habitants de la Coudraie-Poissy, il met en avant le peu de connaissance du terrain des acteurs mettant en œuvre les démolitions tout en pointant un véritable problème de discrimination envers les habitants, que l’
on reloge pour essayer de préserver la façade du quartier dans lequel ils vivent, les remplaçants par des habitants ayant des revenus plus élevés. Il exprime alors la nécessaire mise en place d’une nouvelle modalité de mixité sociale. Passer donc d’un modèle qui voit prédominer le principe des exclusions de fait, soit un le cercle vicieux où l’arrivée de classes plus aisées fait grimper les prix de l’immobilier mais aussi des biens les plus communs, à un modèle basé sur le principe dit de « flotabilité », où les habitants les mieux lotis tirent tout le quartier vers le haut.
En plus de cette transition, c’est l’instauration de ce qu’il appelle une « boite à outils de langage » qui permettrait une évolution positive de ces problèmes touchant au périurbain français. Une boite à outils favoriserait un dialogue serein entre administrations et habitants. Mais pour bien fonctionner, cette dernière devra aussi prendre en compte le fait que ces deux acteurs évoluent dans une temporalité bien différente. Les acteurs publics sont focalisés prioritairement sur le long terme, considérant des problématiques de développement du territoire, de son inscription dans le tissu économique, de développement de la métropole dans son ensemble ; tandis que les habitants auront peut être plus tendance à se situer dans un temps plus court, plus proche, plus affectif.
D’autres approches alternatives sont évoquées. Christiane Droste parle de la « rénovation douce » mise en place à Berlin, modèle en total porte-à-faux face à un urbanisme dit « sécuritaire », visant le désenclavement afin de faire intervenir rapidement les forces de police, ainsi qu’une dépossession des habitants des quartiers populaires au profit des plus aisés.
Dépasser les stigmatisations : vers une nouvelle vision de l’urbain
Mais s’il y a des habitants dans le quartier, il y a aussi des habitants hors du quartier. Ce deuxième axe doit être compris en parallèle du premier. L’amélioration de l’image du quartier passe aussi par ce regard extérieur, celui de ceux qui s’imaginent cette vie dans « la cité », « le ghetto », cet endroit auquel on donne un nom distinct et que l’on ne considère pas comme pleine et entière partie de la ville. Luna Glucksberg (13) a travaillé sur la perception de ces frontières urbaines dans le quartier de Peckham, à Londres. Un hiatus de taille séparait la vision du quartier par ses habitants. La vision portée par ceux de l’extérieur était plus que négative : les termes revenant le plus souvent dans l’enquête, était « tas d’ordures » concernant le quartier, et « racaille » concernant ses habitants. Comment, dans un tel climat, dissuader les autorités compétentes de ne pas détruire le lieu ainsi dépeint ? L’intervenant Kareem Ibrahim (14) parle de nombreuses reprises de stigmatisation des quartiers Egyptiens les plus pauvres et de leurs habitants, montrés du doigt et mis à l’écart. Cette stigmatisation est utilisée comme un outil des autorités en charge de la rénovation et du relogement pour arriver à leurs fins, et là est le problème.
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De nombreux chercheurs ont parlé du « droit à la ville », d’après les travaux d’Henri Lefebvre, qui permettrait de penser la ville actuelle et l’urbain comme problèmes du monde moderne, dans le but de lutter contre ce qu’il appelle « l’urbanisme capitaliste » (15). D’autres lui trouvent même une autre déclinaison dans le droit au lieu, droit d’être dans un lieu et de se l’approprier, physiquement ou non.
Il serait peut être tout simplement temps de remettre aux habitants les clefs de la réussite de leur propre vivre ensemble. De leur permettre de développer des capacités d’écoute, de médiation, de compréhension. Certaines associations disposent d’outils afin de faire naitre et de renforcer ce vivre ensemble, reste aux différents acteurs de s’en saisir.
Sources
1. « Engagements et tensions autour de la rénovation urbaine », colloque international des 25 et 26 janvier 2013, à l’ENSA Paris Val de Seine, organisé par LAVUE et Centre SUD.
2. Rapport du Centre d’Analyses Stratégiques, « Politique de la ville, l’expérience américaine », Cyril Cosme.
3. Intervention de Nili Baruch pour le colloque, « Protest, cooperation and mediation in Israel ».
4. Dossier « Seuls à Clichy », dans Les Inrocks, n°895 (23 au 29 janvier 2013), p.28.
5. Intervention de Luna Glucksberg pour le colloque, « Reading regeneration, wasting, recycling, renewing and gentrification. »
6. Intervention de Thomas Kirszbaum pour le colloque, « La rénovation urbaine est-elle réformable ? »
7. Intervention de Judith Aubin pour le colloque, « Appropriations et expropriations de l’espace : le cas de la rénovation urbaine à Pékin au début du XXIème siècle. »
8. Intervention d’Erbatur Cavusogul pour le colloque, « Professionals and local activists facing the neoliberal transformation of cities. »
9. Intervention de Simone Gatti pour le colloque, « The Nova Luz project, corporate logic and possibilities of resistance ».
10 Intervention d’Amandine Martor pour le colloque, « Les associations dans la rénovation urbaine. Un espace d’intermédiation entre habitants et pouvoirs publics ? »
11. Intervention de Pierre Gilbert pour le colloque, « L’absence de mobilisation face à la rénovation urbaine. Individualisation des trajectoires et affaiblissement des collectifs militants. »
12. Intervention de Mohamed Ragoubi, porte parole du collectif d’habitants de la Coudraie-Poissy, pour le colloque.
14. Intervention de Kareem Ibrahim pour le colloque.
15. Laurence Costes, Henri Lefebvre, le droit à la ville, vers la sociologie de l’urbain, 2009, Ellipses.