ANALYSE. Les négociations complémentaires d’Alger: les défis d’une situation instable

Par Florent Blanc et Oumar Berte. Alors que ce sont ouvertes à Alger, sous l’égide d’une équipe de médiation élargie, de nouvelles négociations destinées à parvenir à la signature de l’accord de paix d’Alger par les groupes de la CMA, la situation malienne reste très préoccupante.

Pour permettre la prise en compte des points soulevés par la CMA justifiant ses réticences à signer l’accord de paix avant le 15 mai, ce round de négociations doit réaliser une figure de style complexe alliant maintien de la ligne de l’accord de paix (position officielle de la diplomatie malienne) signé par les groupes de la Plateforme et le gouvernement le 15 mai en présence de l’équipe de médiation, tout en parvenant à satisfaire les demandes d’ajustements et de compléments que réclament les négociateurs de la CMA pour signer. Si les conditions posées par le MNLA et ses alliés étaient prises en compte, les groupes armés envisageraient, selon un suspens continu entretenu avec soin, de signer l’accord finalement le 12 juin (nldr: maintenant, les porte-paroles du MNLA évoquent plut^t la date du 20 juin). 

L’annonce, au matin du 5 juin, de la présentation d’un document, par la médiation, intitulé, sobrement, « Relevé de conclusions des consultations préparatoires à la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali » était attendue depuis le retour à Alger des négociateurs. Dans ce document de 4 pages et 13 points, l’équipe de médiation présente les exigences de la CMA formulées comme des « clarifications « .

Relevé de conclusions des consultations préparatoires à la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali
Cliquez sur l’image pour télécharger le document

Concrètement, la CMA demande à ce que ses cadres soient intégrés au commandement des futures forces régionales de sécurité, que certaines localités du nord obtiennent le statut de région ainsi, qu’une attention particulière soir portée à la participation des populations du nord aux décisions économiques liées à l’utilisation des ressources naturelles.

Bien qu’il soit encore très tôt pour analyser la portée concrète de ces 13 points, certaines interrogations peuvent déjà être formulées: quelle sera l’autorité qui aura compétence pour décider de la composition des forces régionales de sécurité et de l’attribution des postes? Placées, dans l’accord de paix, sous l’autorité des conseils régionaux

A l’annonce de ce document, accompagné d’un autre, celui-ci concernant une piste de cessation des hostilités dans la zone de Ménaka, la Plateforme, qui rassemble les groupes armés pro-gouvernementaux, a exprimé son hostilité, estimant que ces préoccupations étaient déjà prises en compte dans l’accord présenté le 1er mars.

Alors, est-ce que ce nouveau document, et le procédé, ne porte par le risque d’ouvrir brèche où chaque groupe pourrait voir l’opportunité de présenter de nouvelles exigences, sur fond de tensions militaires renouvelées depuis le 27 avril ? Cité dans de nombreuses publications
maliennes ces derniers jours, Me AT Diarra, professeur de droit, explique que la marge de manœuvre du gouvernement à Alger est étroite tant, dans un contexte de fragilité politique du président IBK les négociateurs du gouvernement devront tenir compte d’un courant d’opinion hostile aux nouvelles revendications de la CMA.

Entre manipulations des référents identitaires, pratiques de négociation peu transparentes et surtout risque de création des conditions d’un traitement différencié des revendications présentés par les négociateurs, la situation diplomatique malienne ressemble à un cocktail où se mixtent des facteurs déclencheurs de crise bien puissants.

Sur le plan intérieur, c’est la situation des violences qui préoccupent les observateurs cette semaine. Les combats éparses mais continus dans les régions du Nord, ainsi que la poursuite des actes de violence contre les forces de la MINUSMA mais aussi les civils provoquent une montée des pressions : la France et le Niger ont pris position pour exiger des groupes de la CMA une signature rapide de l’accord de paix alors que l’Organisation de la Coopération Islamique (seule organisation internationale de nature confessionnelle), qui tenait congrès annuel au Qatar cette semaine, s’est prononcée en faveur de la création d’une force de réaction rapide au sein de la MINUSMA pour répondre à l’insécurité au nord du Mali. Conséquence directe de ces combats qu’aucun acteur ne semble capable de faire cesser, pour le moment, le Mali assiste à un nouvel exode de populations : + de 30 000 personnes ont ainsi quitté leur lieu d’habitat au mois de mai 2015 portant le nombre total de réfugiés malien à 130 000 environ (un chiffre stable depuis l’été 2014). Le HCR tire la sonnette d’alarme cette semaine face à cette situation critique.

Egalement préoccupant cette semaine est l’annonce du lancement de la campagne agricole 2015 sur fonds de polémique concernant la livraison des engrais, issus d’un appel d’offre passé par le gouvernement, aux agriculteurs et qui comporterait de nombreux lots défectueux

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Les informations auxquelles il fallait prêter attention cette semaine

Analyse des tensions au Mali

Semaine du 1er au 5 juin 2015

Dans le domaine institutionnel

Facteurs structurels

2FS1 Faiblesse de l’État de droit

Titre : Déplacement massif de population de Tin-Hama vers le Niger (article du 2 juin 2015)

Face à la reprise des combats entre groupes armés depuis la fin du mois d’avril 2015, l’armée malienne et les forces internationales restent incapables d’assurer la sécurité des populations. Cette situation conduit les populations à fuir le pays pour se réfugier dans les pays voisins. En quelques semaines, ce sont plus de 50 000 personnes qui ont pris le chemin de l’exil (voir les cartes d’OCHA, relief web pour mai 2015)

Entre le 27 avril et 31 mai 2015, plusieurs villes du nord du pays ont été le théâtre de combat entre les belligérants. La région de Tombouctou a été la plus touché par ces violences.

http://maliactu.net/mali-des-ong-
des-droits-de-lhomme-denoncent-de-possibles-crimes-de-guerre-dans-le-nord/

Facteurs amplificateurs

1FA4 corruption endémique et impunité

Titre : De l’engrais de mauvaise qualité livré aux producteurs agricoles (article du 3 juin 2015)

L’État malien conditionne l’obtention des subventions des intrants agricoles aux producteurs qui acceptent de produire du coton. Cette condition oblige beaucoup de producteurs à s’engager dans la production du coton afin de bénéficier de l’État de la subvention des intrants agricoles surtout les engrais et les pesticides. Pour pouvoir fournir des intrants à ces nombreux producteurs obligés de s’engager dans la production du coton, l’État à travers la CMDT (Compagnie Malienne des Produits Textiles) lance chaque année des appels d’offres en vue de la fourniture de ces intrants. Dans notre analyse de la semaine du 26 mai au 29 mais 2015, on alertait que la région de Mopti était menacée par une crise alimentaire due à l’insécurité qui règne dans cette région. Ce scandale de la corruption peut mettre en danger la sécurité alimentaire dans l’ensemble pays. Si les intrants sont de mauvaises qualités, c’est toute la récolte qui pourrait être touché.

Ce scandale de corruption affaiblit les institutions car depuis l’arrivée du président IBK, les scandales de corruption se succèdent. Du scandale autour de l’achat de l’avion présidentiel à celui de l’équipement des forces armées, ce nouveau scandale de corruption met en mal le gouvernement malien déjà malmené dans l’opinion. Le président IBK avait pourtant fait de la lutte contre la corruption un thème phare de sa campagne électorale.

http://www.lavoixdelamerique.com/content/mali-engrais-enquete/2804038.html

Facteurs déclencheurs

1FD2 crises électorales

Titre : faible taux de participation aux élections législatives partielles de la commune V (article du 2 juin 2015)

Les électeurs de la commune V ont boudé les urnes le dimanche 31 mai 2015 lors des élections législatives partielles de cette commune de Bamako. Contrairement à la campagne électorale qui avait été émaillée de violences, le scrutin s’est déroulé dans le calme.

Il faut noter un taux d’abstention incroyable : alors que la circonscription compte 245 025 électeurs inscrits, seuls 1055 citoyens ont voté soit 0,43% des inscrits

La candidate du Rassemblement Pour le Mali (RPM) ex ministre de l’éducation nationale arrive en tête suivi de celui de l’Union pour la République (URD). Un second tour opposera ces deux candidats le 21 juin 2015.

Ce score vient renforcer l’image d’un monde politique qui ne parvient pas à convaincre les citoyens de sa capacité à contribuer à répondre à leurs besoins ou leurs aspirations.

http://malijet.com/actualite-politique-au-mali/130449-election_legislative_partielle_en_commune_vers.html

Facteurs déclencheurs

1FD3 revendications autonomistes et indépendantistes

Titre1 : Ménaka est au cœur des discussions sur l’accord de paix à Alger (article du 1er juin 2015)

La reprise de la ville de Ménaka du 27 avril 2015 par les milices pro-gouvernementales du GATIA et alliés aux groupes armés de la CMA avait entrainé une cristallisation des violences autour de cette ville. Dans notre analyse de la semaine du 26 au 29 mai 2015, nous avons expliqué les enjeux de la cristallisation des tensions au tour de cette ville. Ces enjeux font que la ville de Ménaka est encore au cœur des nouvelles discussions ouvertes à Alger le 1er juin 2015 après la cérémonie de signature des accords d’Alger qui ont eu lieu à Bamako le 15 mai 2015 à l’absence des groupes armés de la CMA. La CMA ayant perdu le contrôle de la ville Ménaka exige le retrait des milices du GATIA de la ville. Il faut rappeler que les groupes armés de la CMA ont plusieurs fois tenté de reprendre le contrôle de Ménaka sans succès. Les discussions qui se sont ouvertes à Alger cette semaine sont axées sur ce retrait.

http://www.rfi.fr/afrique/20150601-mali-discussions-alger-accord-paix-affrontements-nord/

Titre2 le président français et nigérien exhortent les groupes armés à signer les accords de paix article du 2 juin 2015)

L’étau se resserre de plus en plus autour des groupes armés rebelles de la CMA. L’opération Serval de la France lancé en janvier 2013 fait de la France la principale force militaire internationale au Mali. L’influence de la France sur le gouvernement malien et sur les rebelles armés est considérable. La France semble de plus en plus opter pour une signature forcée des accords par les groupes armés. Le conflit du nord du Mali met en danger la sécurité sur tout le sahel. Le Niger qui partage des frontières avec le Mali dans le sahel abrite une importante mine d’exploitation d’uranium de la France. L’uranium produit au Niger est importante dans à la production d’électricité en France. La poursuite du conflit dans le temps pourrait avoir un impact sur la production d’uranium du Niger.

http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20150602164047/?utm_source=feedburner&utm_medium=feed&utm_campaign=Feed%3A+Actualite_Mali+%28Jeune+Afrique%3A+Actualit%C3%A9+Mali%29

Dans le domaine sécuritaire

Facteurs amplificateurs

2FA2 augmentation des activités illégales et de la criminalité

Titre2 AQMI revendique les dernières attaques contre la MINUSMA (article du 1er juin 2015)

La signature des accords d’Alger le 15 mai 2015 à Bamako avait déclenché une polémique entre le gouvernement malien et la MINUSMA. Dans les jours qui avaient suivis, et dans un contexte de protestations contre les propos d’Hervé Ladsous, les soldats de la MINUSMA avaient été pris pour cible au cœur même de la capitale malienne.

Cette série d’attaques, dont la dernière avait été mortelle pour un casque bleu, a été revendiquée par AQMI le 1er mai 2015 par un appel téléphonique de son porte-parole Abderahamne Al-Zawadi à l’agence de presse privée mauritanienne AL-Akbar proche des groupes armés terroristes. Ces revendications interviennent plusieurs jours après les attaques.

http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20150601094357/?utm_source=feedburner&utm_medium=feed&utm_campaign=Feed%3A+Actualite_Mali+%28Jeune+Afrique%3A+Actualit%C3%A9+Mali%29

2FA6 Atteintes à l’État de droit, aux droits humains

Titre : 6 civils dont un humanitaire exécutés à Tin Hama dans le cercle d’Ansongo. (article du 2 juin 2015)

Les civils sont les plus grandes victimes de la crise politico-militaire du nord du Mali. L’Association Malienne des Droits de l’Homme (AMDH) et la Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH) dénoncent des cas de violations graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire. Plusieurs Touaregs de la Tributs des Kel-Essouk auraient été exécutés. Le gouvernement malien et les groupes armés de la CMA se rejettent mutuellement la responsabilité de ces crimes. Ces crimes commis sur les Touaregs de la Tributs des Kel Essouk démontrent les grandes rivalités entre les communautés touaregs du nord du Mali. La CMA est composée en grande partie par des membres de la Tribut des Idnanes et Alliés, quant au GATIA, cette milice pro-gouvernementale est composée majoritairement par des Touaregs de la Tributs des Inghads et Alliés.

http://maliactu.net/mali-des-ong-des-droits-de-lhomme-denoncent-de-possibles-crimes-de-guerre-dans-le-nord/

Facteurs déclencheurs

2FD1 implantations transfrontalière des groupes terroristes, narco, terroristes (article du 2 juin 2015)

Titre l‘Algérie coupe les sources d’approvisionnement des groupes armés rebelles (article du 3 juin 2015)

L’Algérie est chef de file de la médiation dans les pourparlers inter-maliens. Elle est aussi la principale source d’approvisionnement des groupes armés rebelles du nord du Mali en raison de la proximité du nord du pays avec l’Algérie. Les produits algériens sont beaucoup plus consommés au nord du Mali que ceux du sud du Mali. Les groupes armés rebelles de la
Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA) refusent de signer les accords issus des discussions d’Alger. Craignant l’échec de sa médiation, l’Algérie cherche à couper les routes d’approvisionnement des groupes armés rebelles. Ce type de répression est à comprendre dans le contexte d’un arsenal de répression de toute part visant à pousser les groupes armés de la CMA à signer l’accord d’Alger sans délai supplémentaire. Il faut rappeler que ces frontières échappent au contrôle du gouvernement malien.

http://maliactu.net/mali-sale-temps-pour-les-narco-separatistes-kidalois-les-sources-dapprovisionnement-a-partir-de-la-frontiere-algerienne-mises-hors-service/

Dans le domaine social

Facteurs structurels

5FS2 Liens intracommunautaires forts

Titre : L’implication de la société civile dans la reforme du secteur de la sécurité (article du 3 juin 2015)

Les civils sont les plus grandes victimes des abus et des dérives des forces armées et de sécurités. Il est donc important d’associer la société civile dans la reforme du secteur de la sécurité. Les abus et les bavures des forces armées et de sécurité se sont multipliées dans le pays suite à la crise politico-militaire que le pays traverse depuis 2012. Le retour à une paix durable nécessite une grande reforme du secteur de la sécurité. La société civile attend s’impliqué davantage dans le processus de paix.

http://maliactu.net/mali-reforme-du-secteur-de-la-securite-au-mali-leclairage-des-organisations-de-la-societe-civile/

Facteurs déclencheurs

5FD1 Violence des contestations sociales (article du 3 juin 20415)

Titre : Des manifestants brûlent des magasins du marché de Daoudabougou à Bamako.

Les spéculations foncières et de l’accaparement de parcelles par les élus des collectivités locales sont très fréquents au Mali. Les populations exacerbées par ces accaparements de terre manifestent leur colère par des violences. Les manifestations violentes contre les spéculations et accaparement de terres sont fréquentes à Bamako. On se rappelle des violentes manifestations de septembre 2010 contre la construction de l’auto-gare de la société Bittar Trans à Sogoniko. Les populations s’étaient violemment opposées à la construction de cet auto-gare de la société Bittar Trans en septembre 2010. Mais cette violente manifestation du mardi 2 juin 2015 de Daoudabougou est à distinguer de celle de 2010. En effet, celle de 2010 était dirigée contre l’opérateur économique qui avait acquis la parcelle. En revanche, celle du 2 juin 2015 est plutôt dirigée contre les élus locaux et leurs complices. Cette violente manifestation a eu lieu à moins de 48 heures du scrutin législatif partiel de la même commune au cours de laquelle, les citoyens
avaient brillé par leur absence dans les urnes. Ces deux évènements constituent un désaveu pour le gouvernement malien.

http://malijet.com/a_la_une_du_mali/130519-mecontents_de_la_gestion_fonciere_des_autorites.html