ANALYSE. Ménaka nouvel enjeu du dénouement de la crise politico-sécuritaire du Mali

Reprise par les forces pro-gouvernementales du GATIA le 27 avril 2015, la ville de Ménaka, dans la région de Gao, est au cœur de la dernière phase en date des négociations de sortie de crise au Mali. Le MNLA qui occupait la ville depuis 2012 a fait de la localité un enjeu des négociations en cours cette semaine à Alger.

Analyse: Oumar Berte et Florent Blanc Cartographie: Cyriaque Legrand, crédit photo couverture: MINUSMA/Marco Dormino, « 15-02-24 Visit to Menaka 09: le contingent du Niger à Ménaka », Creative Commons Licence

Ménaka est un cercle situé dans la région de Gao à la frontière avec le Niger. La population de Ménaka est composée de Touaregs, de Songhaïs et de Bellas. A plusieurs reprises au cours de l’histoire récente du Mali, la ville de Ménaka a été le lieu de combats entre forces rebelles et armée régulière, mais également entre groupes armés rebelles. La ville de Ménaka occupe une position stratégique importante puisqu’elle contrôle la liaison entre Gao et Kidal. Par ailleurs, ville de garnison et siège de la prison, la ville est un lieu d’entrepôt d’armement et de matériel dont la saisie peut avantager le groupe qui la contrôle. En 1990 puis en 2006, lors du déclenchement des deux crises précédentes, Ménaka a été l’une des premières villes attaquées par les forces rebelles. En 2012, ce sont les forces du MNLA qui s’en emparent avant que la ville ne soit le théâtre de combats violents au moment de la rupture de l’alliance entre le MNLA et les forces jihadistes. Chassé par le MUJAO, le MNLA s’y réimplante en 2013 quand les forces françaises de l’opération Serval chassent les groupes djihadistes.

L’occupation de la ville par le MNLA 

Depuis 2013, le MNLA, à Ménaka, se substituait à l’État et ses services délocalisés notamment dans le domaine de la justice et de la sécurité mais aussi et surtout en prélevant des taxes sur les commerçants ou les personnes circulant à moto. C’est au lendemain de la prise de la ville par le GATIA que les médias se sont fait l’écho de ces paroles d’habitants, comme en témoigne un article posté sur le site de France24 (ici).

Depuis les premières négociations entre groupes armés rebelles et représentants du gouvernement malien à Ouagadougou en 2013, les forces armées maliennes étaient cantonnées, empêchant, pendant les discussions, tout combat visant la reconquête de territoires. Ce cantonnement, récemment dénoncé par le président Ibrahim Boubacar Keïta, avait permis au MNLA de garder le contrôle sur certaines localités comme ce fut le cas de Ménaka. Au fil de la crise politico-sécuritaire, le sort de la ville de Ménaka avait finalement été occulté par les nouvelles venues de Kidal qui était au centre des premières phases des pourparlers inter-maliens d’Alger.

Ménaka au centre de la signature des accords d’Alger le 15 mai 2015

Au mois de mars 2015, alors que la médiation annonce qu’un accord final a été trouvé, la CMA, dont fait partie le MNLA, annonce qu’elle hésite à signer les accords. En annonçant un besoin de consultation de sa base à Kidal, la coordination entre dans un jeu
difficile, alternant les annonces de signature et les retards. La tension monte alors pour tenter de convaincre les principaux acteurs de la CMA.

C’est dans ce contexte que le GATIA déclenche une riposte après une attaque de la CMA dans la zone et que la ville tombe, sans combat véritable le 27 avril 2015. A deux semaines à peine de la cérémonie prévue à Bamako pour la signature de l’accord de paix, la nouvelle crée un choc.

La presse montre la population de Ménaka dans les rues pour manifester sa joie et les commentateurs saluent le GATIA. En parallèle, les responsables du MNLA promettent d’envoyer leurs troupes « reprendre Ménaka » et fait savoir qu’il s’agit d’une sérieuse violation du cessez-le-feu imposé par la MINUSMA et la médiation depuis le début des négociations de paix.

En représailles contre ce revers, la CMA multiplie les attaques contre les villes et les forces armées maliennes dans le nord du Mali. Entre le 27 et 31 mai 2015, la CMA a fait une quinzaine d’attaques, tués une cinquantaine de militaires maliens et pillé plusieurs villes notamment dans la région de Tombouctou.

Carte des actes de violence au Mali au mois d'avril 2015
Carte des actes de violence au Mali au mois d’avril 2015 (source: ACLED; réalisation: Cyriaque Legrand pour Ecole de la paix)

Face à la reprise des violences dans le nord du pays et l’incertitude quant à la présence de la CMA à la signature des accords d’Alger le 15 mai 2015, la MINUSMA a demandé le retrait du GATIA de la ville Ménaka. Malgré ces exigences, la mission onusienne s’est heurtée au refus du GATIA, appuyé par la population de Ménaka et une large part de l’opinion publique malienne semble-t-il.

C’est dans ce contexte incertain militairement parlant, que la cérémonie officielle de signature des accords d’Alger s’est néanmoins tenue à Bamako le 15 mai 2015 malgré l’absence des groupes armés de la CMA.

Carte des actes de violence au Mali au mois de mai 2015 (source: ACLED, réalisation: Cyriaque Legrand pour Edp)
Carte des actes de violence au Mali au mois de mai 2015 (source: ACLED, réalisation: Cyriaque Legrand pour Edp)

La polémique lors de la signature des accords de paix

Lors des discours officiels, la cérémonie a pris le ton de la polémique entre le gouvernement malien et le représentant des forces de l’ONU. Dans les jours qui ont suivi, la MINUSMA a été prise à parti dans les médias, quant au soutien qu’elle apporterait à la cause de la CMA. Certaines critiques ont insisté sur le cantonnement continu imposé aux forces armées maliennes alors que les groupes armés violeraient régulièrement le cessez-le-feu.

De l’autre coté de l’échiquier, la CMA par la voix de ses représentants réclame la restitution de la ville de Ménaka, c’est-à-dire le départ du GATIA. Au lendemain de la cérémonie de Bamako, la CMA a demandé et obtenu l’ouverture de nouvelles discussions à Alger, sous l’égide de la médiation élargie, pour exprimer une série de demandes concernant la mise en œuvre de l’accord de paix, et ce, alors que les autres parties à la négociation avaient déjà signé l’accord final. C’est dans un climat politique tendu, marqué par la montée des tensions dans l’opinion publique concernant l’attitude de la médiation et du gouvernement malien face à ces nouvelles demandes, que ce sont ouvertes ces séances d’échanges.

Ménaka au centre des nouvelles discussions d’Alger

A Alger, les négociateurs de la CMA ont présenté leurs demandes, issues des consultations organisées à Kidal en mars 2015. Synthétisées par l’équipe de médiation, elles sont présentées sous la forme de treize points de clarification qui vont de l’intégration des ex-combattants dans les forces de sécurité, à la participation des populations à la décision d’utilisation des fonds issus de l’exploitation des ressources du sous-sols, jusqu’au retour des réfugiés et la création d’entités administratives particulières pour certaines localités.

Parmi les demandes présentées à la Médiation se dessine une préoccupation continue qui vise à l’intégration des populations et des membres de la CMA aux processus de décision et aux postes à pouvoir dans la future architecture régionale malienne. En mettant en lumière les cas de Taoudéni et de Ménaka, cependant, les négociateurs de la CMA remettent au goût du jour un vieux projet d’ATT. En effet, en décembre 2011, le gouvernement avait annoncé à l’issue d’un Conseil des Ministres la création de nouvelles régions. Le 2 mars 2012, alors que le Mali était déjà amputé des trois régions du septentrion, l’assemblée nationale adoptait la loi du 2 mars 2012 qui devait mettre en place la 2e phase de la décentralisation au Mali. Cette loi – 2012-017 du 2 mars 2012 – prévoyait la création de 11 nouvelles régions au Mali dont celles de Taoudéni et de Ménaka.

Que ce projet de régionalisation réapparaisse au moment des échanges additionnels sur la signature de l’accord de paix peut interroger.

En effet, si la loi du 2 mars 2012 prévoyait le passage de 8 à 19 régions, il n’est plus question, pour le moment, que de la création de deux régions supplémentaires. La première, celle de Ménaka,  constitue un enjeu stratégique dans l’équation sécuritaire actuelle alors que l’autre, celle de Taoudéni, présente la caractéristique d’être située sur un bassin géologique qui pourrait être exploité pour y extraire du pétrole notamment. Dans le cadre de l’accord de paix, la clause prévoyant le versement d’un pourcentage des recettes tirées de l’exploitation des sous-sols aux autorités régionales pourrait créer une ressource non-négligeable pour la future autorité locale, si elle venait à être créée.

Territoire du Mali et réserves d'hydrocarbures
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Les zones de Taoudéni et de Ménaka se situent précisément sur des bassins d’hydrocarbures dont l’exploitation pourrait rapporter
des flux financiers considérables aux futures administrations locales.

En effet, on comprend donc un peu mieux à quel point, la ville de Ménaka présente un enjeu capital pour la CMA et tout autant que pour le GATIA. La CMA n’a pas l’intention de laisser Ménaka, ville par la quelle elle avait lancé l’assaut contre les forces armées maliennes. Ménaka sert aussi de base arrière pour la CMA.

Ménaka, ville neutre ?

Alors qu’un cessez-le-feu a été proclamé la semaine dernière pour apaiser les tensions autour de Ménaka et trouver une solution, la Médiation vient d’annoncer le retrait du GATIA  de la ville qui passera dans les prochaines heures sous contrôle de la MINUSMA avec un appui des forces de l’opération Barkhane. Forces gouvernementales, pro-gouvernementales et rebelles seront cantonnées à plusieurs kilomètres de la ville.