KIDAL. Sécurité, incertitude et relance du développement

Par Florent Blanc. A Bamako, la population touareg originaire des régions du nord Mali est nombreuse. L’afflux de déplacés internes est significatif du dénuement des conditions de vie dans les régions où règne encore l’insécurité mais surtout où l’Etat peine à manifester sa présence. Au beau milieu, les populations et responsables politiques se demandent si les populations doivent réellement attendre le retour de la sécurité pour bénéficier de la relance d’un développement attendu avec impatience.

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Bamako, 8 décembre 2013

Dimanche 8 décembre 2013. Après plusieurs échanges téléphoniques avec des amis et des partenaires, nous nous rendons, Jean-Didier Vermenot et moi, en taxi en direction d’un quartier au sud du fleuve Niger.

Coordinateur français du Réseau des Partenaires de la Région de Kidal, Jean-Didier Vermenot est un contact précieux pour tenter de mieux comprendre les problématiques du Nord Mali.

Nous sommes attendus chez Mme Aicha Belco Maïga. Jusqu’il y a peu, elle était la présidente du conseil des cercles de Tessalit. Il y a deux semaines environ, elle a été élue députée de Tessalit dès le premier tour avec plus de 60% des suffrages exprimés.

Dans son salon, les canapés font le tour de la pièce pour accueillir les invités et favoriser les échanges. Deux touaregs, dont le fils de l’actuel chef du village, et un enseignant sont présents quand nous arrivons. Aux poignées de main nombreuses succèdent les questions sur la santé et le sort des familles. Jean-Didier s’enquiert du sort de ses amis qu’il n’a pas pu revoir depuis son dernier passage à Tessalit, il y a quatre ans.

Les propos sont mesurés, les nouvelles dispensées de manière rassurante. On sent bien que la situation n’est pas entièrement revenue à la normale mais les amis touaregs font en sorte de ménager leur ami.

Peu à peu la salle se remplit. Le but de la rencontre était d’organiser la parole autour des évènements tels qu’ils ont été vécus par les habitants de Tessalit et plus généralement ceux de Kidal en essayant d’insister peut-être un peu plus sur les projets de développement et d’éducation.

On apprend, peut-être en guise d’introduction, qu’à Tessalit, l’arrivée des troupes du MNLA le 23 janvier 2012, a été un drame vécu de manière directe et choquante par les enfants de l’école. Les cris ont alertés les enseignants qui ont compris que les rebelles avaient pris position sur les collines entourant le village. Chacun a fuit aussi vite que possible. En se concentrant sur les bâtiments publics, symbole de l’Etat malien, les rebelles vont piller l’école, emportant, pendant la reconquête de la ville, les bancs, les bureaux, et allant même jusqu’à emporter les portes et les fenêtres.

Les écoles de Tessalit qui accueillaient avant la crise près de 5200 élèves, n’a toujours pas ré-ouverte malgré la présence d’une vingtaine d’enseignants natifs de Tessalit et qui se sont réfugiés dans leurs familles.

Plutôt que de faire la transcription littérale de la rencontre, voici de manière schématique les
points qui ont été abordés et les opinions exprimées

  • L’analphabétisme est une question centrale aux conséquences multiples

Comme nous l’avions écrit dans une note publiée sur Territoires de paix au mois de mai sur l’éducation au Mali, le taux d’analphabétisme s’élève, en dehors de Bamako, à près de 75% de la population. Si l’impact de la méconnaissance de la lecture et de l’écriture pose problème en soi, c’est bien sur les capacités de développement local que cet handicap pèse le plus.

Pour Aicha Belco, l’analphabétisme c’est avant tout l’incapacité pour la personne de comprendre les enjeux du monde, la difficulté accrue d’une personne d’un territoire comme celui de Tessalit, à se saisir de ses droits et à participer pleinement à l’organisation du pays.

Par ailleurs, elle va plus loin quand elle spécifie que de nombreux responsables politiques locaux mais aussi nationaux maitrisent mal voire pas du tout la lecture et l’écriture. Un député qui se trouve incapable de lire les textes de lois qu’il doit discuter et voter souffre d’une incapacité gênante pour al conduite de ses fonctions. A l’échelon local, martèle Aicha Belco, l’analphabétisme des responsables politiques est encore plus grave puisque dans le cadre de la décentralisation, les élus locaux sont en première ligne pour faire remonter les besoins de leurs populations et trouver les ressources pour développer leurs territoires dans la complexité administrative du Mali et des réseaux de bailleurs et de programmes internationaux. Par conséquent

  • La formation du personnel politique est un point essentiel pour le développement local

Dans les propos d’Aicha Belco, on entend à plusieurs reprises une observation récurrente sur le personnel politique mais aussi l’organisation de l’administration locale. Elle parle d’analphabétisme mais aussi de formation simple. Sur fond d’un propos sur la capacité de développement locale, la nouvelle députée explique qu’avec la mise en œuvre partielle et incomplète de la décentralisation, l’Etat envoie « en brousse » des fonctionnaires du sud qui, souvent, n’ont pas envie de prendre ces postes. En retour, il n’existerait que peu de ressources de fonctionnaires issus du Nord suffisamment formés et capables pour assurer ces missions. Pourtant, de nombreuses formations ont été organisées au fil des années. Des organismes tels que DDRK, PIDRK, l’Etat, le CFCT ou encore la Banque Mondiale se sont mobilisés pour répondre au besoin de renforcement de capacité des élus et des populations de la zone.

En évoquant la région de Tombouctou, Aicha et Prosper expliquent que Tombouctou a réussi à tirer son épingle du jeu en nommant à la tête des administration locales des érudits et des intellectuels capables de parler et de rédiger des demandes leur permettant de débloquer certaines situations. Pour elle, l’administration locale a besoin de personnels formés, capables d’interagir avec les autorités partenaires et celles de l’état.

  • Les arts et la culture font partie des outils de la réconciliation

Melissa Wainhouse dirige et anime une troupe de théâtre touareg, Tisrawt, originellement basée à Kidal mais qui a dû quitter la zone dès 2010. Melissa s’est installée à Bamako il y a quelques semaines pour accompagner en direct l’évolution de ce projet où le théâtre se mêle à des messages de construction de la paix par le biais de l’art et de l’humour. Par le biais de sketchs basés sur des scènes du quotidien, les comédiens touaregs poussent les spectateurs à réfléchir et à réagir sur des sujets de société complexe.

Depuis son installation dans un quartier du sud du
fleuve à Bamako, Melissa explique que sa troupe a réussi une tournée qui l’a emmené dans les villes du nord où l’accueil a été chaleureux. Elle qui a bien connu Kidal, et dont les convives parlent comme d’une « fille du pays », raconte que le théâtre et les arts, qui avaient leur place à Kidal et Tessalit, doivent revenir, progressivement, pour faire rêver et rire, mais aussi pour marque le retour à la normale.

Aicha Belco prend la parole pour insister sur l’importance des programmes de sensibilisation à la paix et au vivre-ensemble par le biais de l’école et des enseignants.

  • La prise en compte des traumatismes

Au cours de la conversation, chacune des personnes présentes va insister sur un point qui leur semble essentiel : celui de la prise en compte des traumatismes chez les enfants touaregs de Tessalit. L’arrivée des rebelles du MNLA et des islamistes les a sorti de l’école et les a confronté, pour ceux qui sont restés dans le village comme pour ceux qui ont fuit avec leurs familles, à la violence des armes et au désœuvrement.

La conversation ne s’attarde pas trop sur le quotidien du village et de ses habitants pendant la crise, mais on comprend à demi-mots que les enfants ont côtoyé les rebelles, et été les témoins d’actes de violences. Par ailleurs, Prosper, un instituteur de Tessalit originaire de Gao, explique que lors de leur retrait, les troupes rebelles ont laissé derrière elles des armes et des munitions que certains enfants auraient ramassées et cachées.

  • Comment réinsérer les enfants dans l’école

Pour beaucoup d’enfants de Tessalit, l’arrivée du MNLA et des « islamistes » (je préfère rester prudent sur l’emploi de ce terme) s’est traduit par la fermeture immédiate de l’école, sa destruction et leur déscolarisation durable. Les familles qui le pouvaient ont fuit vers les villes du sud mais d’autres ont choisi le Niger ou l’Algérie (les chiffres ou les ordres de grandeur ne nous ont pas été communiqués). Dans ce dernier cas, l’Algérie interdit l’accès à l’école aux non-Algériens. Qui plus est, l’école est en arabe avec un contenu algérien.

Alors qu’on se surprend de cette remarque, les invités nous rappellent que dans les pays qui ont accueilli les déplacés maliens, des ONG avec l’aide des états ont monté des écoles maliennes pour que les enfants déplacés puissent poursuivre leur scolarité tant bien que mal.

Pendant cette période de latence scolaire, les enfants on repris des activités pour aider les familles. Certaines filles ont été mariées, certains garçons ont été enrôlés dans les groupes armées, d’autres se sont lancés dans le petit commerce. Pour beaucoup, craignent nos hôtes, la relance de l’école risque d’être trop tardive.

Si toutes les familles, aujourd’hui encore, sont loin d’être rentrées à Tessalit, la question de l’organisation de leur retour se pose, selon Isandar Sid’amar un jeune étudiant touareg qui finit un cycle en droit international. La boucle est vicieuse : sans école, pas de raison de revenir, sans retournés, moins de raison de la rouvrir.

Pour Aicha et Melissa, il est temps de penser la réinsertion des jeunes dans le monde scolaire pour commencer la phase de réparation des esprits, sortir les enfants du monde de la violence et des armes, et reprendre l’éducation. A l’école d’éduquer, aux instituteurs et aux partenaires d’inventer et de mettre en place les activités de sensibilisation qui permettront de retrouver d’autres aspirations. L’idée d’activités récréatives est lancée pour donner un nouveau but aux enfants.

  • Quelle place pour la culture de la paix ?
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Le Mali a déjà connu un vaste programme pour le développement de l’Education à la Citoyenneté dans les années 1990 pour accompagner la mise en œuvre de la décentralisation. Ce programme – le PNEC – était piloté par le Ministère des Collectivités Territoriale. La Fondation Aga Khan en a fait l’évaluation (voir http://www.akdn.org/publications/civil_society_mali_edu_civique.pdf). Ses conclusions se trouvent être partagées par Aicha Belco : ce programme a été trop ponctuel, sans suite et a touché trop peu de personnes pour avoir un impact.

Les enseignants nous expliquent que le PNEC s’est contenté de séances de sensibilisation par le biais de « boites à images » qui permettent de toucher les populations quelle que soit la langue qu’elles parlent, mais aussi quel que soit leur niveau de compétence en lecture.

  • La place centrale de l’école dans la perspective de relance

L’école en tant qu’institution de l’état mais aussi de structure à l’intérieur des villages et des communautés fait l’unanimité.

Pour Aicha Belco, « on est soit parent soit élèves ». Prosper l’instituteur explique que les instituteurs doivent être protégés mais aussi incités à reprendre le chemin de la brousse pour relancer les écoles. La question de la présence ou plutôt du retour des enseignants est difficile. Beaucoup, même avant la crise, préféraient abandonner leur salaire plutôt que de devoir occuper un poste dans les villages reculés du nord. En sous-texte, on comprend qu’une incitation financière mais aussi un soutien méthodologique pourrait être le bienvenu pour convaincre les récalcitrants.

Sur la question de la prime aux enseignants qui acceptent de retourner dans le Nord malgré des craintes qui persistent concernant leur sécurité physique et professionnelle, Aicha Belco rappelle qu’une dotation est versée par l’Etat à chaque enseignant du Nord pour permettre la reprise de la scolarité des enfants.

Pourtant, c’est aussi d’empowerment, de capacitation mais surtout d’appropriation qu’il est question. Pour la députée et ancienne cheffe de cercles ( l’équivalent de l’échelon départemental), l’école doit être la propriété des habitants, le lieu dans lequel ils s’investissent pour l’avenir de leurs enfants. Elle veut encourager les habitants à se mobiliser plutôt que d’attendre de l’état ou de la communauté internationales des solutions toutes faites sur lesquelles ils déplorent ensuite ne pas avoir été consultés.

Conclusion

Il est difficile de ne pas sentir dans les propos tenus lors de ce groupe de parole une tension qui a trait à un sentiment d’abandon de la part des pouvoirs publics et des bailleurs internationaux. Les besoins sont identifiés, consignés au sein d’un Plan de Développement Social Economique et Culturel (PDSEC) rédigé en consultation entre les autorités locales, la population, les chefs de villages et les autorités coutumière. Pourtant, les demandes les plus basiques sont restées lettre morte. Ce sentiment de frustration se nourrit également par la lecture de la répartition des aides nationales et internationales vues comme privilégiant les régions de Sikasso et de Kayes, au détriment de celles du Nord, et de Kidal en particulier. A ce titre, l’annonce, à la fin du mois de novembre, par l’ambassadeur de l’Arabie Saoudite au Mali, M. Nahidh Al-Harabi, du projet de versement d’une aide de 100 millions de dollars au gouvernement malien pour l’aider à développer des projets destinés aux régions du Nord, est perçu comme un signe encourageant par nos hôtes. L’Arabie Saoudite réussira-t-elle à l’endroit même où la
conférence des donateurs de Bruxelles semble s’être enlisée ? La lecture des critères de sélection des projets de développement, par le gouvernement malien, sera-t-elle plus claire et perçue comme équitable par les populations du Nord ? Enfin, à quelques jours du second tour du scrutin législatif, quelle impact cette annonce peut-elle avoir pour les candidats dans les cercles des trois régions du nord ?