TENSIONS. Au Nord Mali, le désir de réconciliation malgré quelques accrochages

Par le Centre d’Assistance et de Promotion des Droits Humains (Bamako). Dans le cadre du projet Instrument de Prévention des Crises / Mali, l’Ecole de la paix a sollicité le CapDH, pour faire le point, en avril 2014, sur la situation des populations des trois régions du Nord Mali et les tensions intercommunautaires. Dans l’analyse qui suit, les membres du CapDH dressent le portrait d’une situation diverse selon les zones sondées, bien que des grandes lignes apparaissent: un souhait commun de voir le processus de réconciliation fonctionner, des attentes d’intervention de la part de l’Etat ainsi qu’une certaine prudence quant au désarmement des groupes de miliciens.   

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Le Centre d’Assistance et de Promotion des Droits Humains et l’Ecole de la paix ont conclu, en 2014, une convention de partenariat qui doit permettre de renforcer les liens de collaboration sur les questions relatives à l’éducation à la culture de la paix et à la prévention des crises au Mali. Composé de juristes, de géographes, de communicants et de travailleurs sociaux, le CAPDH se donne pour but de diffuser les instruments de mise en oeuvre des droits pour tous les citoyens du Mali et d’assister les personnes vulnérables dans l’exercice de leurs droits.

I-               CONTEXTE : penser la réconciliation nationale en identifiant les menaces qui pèsent sur la cohésion sociale

L’année 2012 a été marquée au Mali par une crise institutionnelle et sécuritaire qui a sérieusement menacée la paix, les droits humains et la cohésion sociale.

En effet, à partir de janvier 2012, les Régions de Tombouctou, Gao, Kidal et une partie des Régions de Mopti et de Ségou se sont vues occupées par des groupes armés dont certains y ont institué des lois islamiques voire tribales.

Le discours terrorisant des occupants, exacerbé par des cas de viols, d’humiliations et d’amputations, a créé une psychose chez les populations qui n’ont eu d’autres choix que de fuir leur localité ; faisant ainsi des milliers de déplacés et de réfugiés à travers le pays et la sous-région, désirant à tout prix trouver un cadre idéal de vie et d’épanouissement. Les exactions commises par les groupes armés ont créé de graves fractures intra et intercommunautaires et a enfoncé les frustrations accumulées par les populations du fait de la mal-gouvernance structurelle pratiquée depuis des décennies.

Courant Janvier 2013, les forces armées maliennes, appuyées par les troupes françaises et tchadiennes et après par celles de la Mission internationale de soutien au Mali (Misma) qui regroupaient notamment le Nigeria, le Togo, le Bénin, le Sénégal, le Niger, la Guinée, le Ghana et le Burkina Faso ont amorcé la reconquête du septentrion malien qu’ils vont réussir quelques mois après. Depuis lors, le territoire national est sous contrôle de l’armée malienne et de ses alliés qui cherchent par tous les moyens à le sécuriser. On assiste ainsi à un retour progressif des populations et de l’administration dans les régions Nord du Mali.

Face au progrès ainsi réalisé et dans le souci de cicatriser les dissensions constatées entre les communautés du fait de la crise,  la  
nécessité d’aller vers une  réconciliation nationale entre tous les maliens sans distinction aucune s’impose. Il urge alors de travailler afin de trouver une réponse à toutes les formes de menaces contre la cohésion sociale, la sécurité et la justice issues de la crise et de créer un environnement favorable à une vie stable et apaisée en communauté.

C’est ainsi qu’au sommet de l’Etat, des initiatives allant  dans ce sens ont été entreprises à travers notamment la création en mars 2013, par les autorités de la transition, d’une Commission Dialogue et Réconciliation qui avait pour mission de rechercher par le dialogue la réconciliation entre toutes les communautés maliennes. Après les élections présidentielles d’Août et Septembre 2013 et la formation du Gouvernement, un Ministère dit de la Réconciliation nationale et du Développement des Régions du Nord a vu le jour. Ledit Ministère a été chargé de définir et de mettre en œuvre une stratégie de vivre ensemble bâtie sur l’équité et la justice.  C’est ainsi qu’il sera proposé de restructurer la Commission Dialogue et Réconciliation et de la renommer  Commission Vérité, Justice et Réconciliation qui prendra en compte les dimensions de vérité et de justice.

Cette volonté ayant été amorcée par les plus hautes autorités du pays, il incombe d’œuvrer à s’enquérir plus concrètement des réalités sur le terrain afin de mieux jauger la pertinence d’une telle initiative et de vérifier le niveau de cohésion et de réconciliation entre les communautés.

Le CAPDH a jugé alors opportun d’apporter sa contribution en menant une réflexion à travers le recueil d’informations auprès des communautés concernées dans le but d’aboutir à l’instauration d’une paix durable et la stabilité du tissu social. Le présent document se focalise essentiellement sur les informations collectées dans la zone la plus touchée par la crise.

II-             METHODOLOGIE DE COLLECTE D’INFORMATIONS :

En raison du temps assez court dont disposait le CAPDH, la méthodologie a consisté à prendre attache avec les différents points focaux de l’association auxquels il a été demandé de s’entretenir avec les différentes communautés et de fournir des informations sur un certain nombre de points qui leur ont été soumis. Ils devraient alors répondre aux préoccupations ci-après :

–       Qu’en est-il du retour des populations et de l’administration dans le septentrion ?

–       Quid de la situation sécuritaire ? Attribue-t-on la responsabilité de la crise à une quelconque communauté ?

–       Quel est l’état de la réconciliation dans la zone ? Les communautés vivent-elles en harmonie ? Faut-il craindre des risques d’affrontement ?

–       Quelles sont les actions entreprises dans la zone en vue de la réconciliation nationale ? sont-elles pertinentes ?

–       Quelles solutions pour une sortie de crise ?

III-            SITUATION ACTUELLE SUR LE TERRAIN : un climat optimiste malgré quelques accrochages ponctuels

A partir des informations recueillies sur le terrain, on constate le retour massif et progressif des réfugiés et déplacés dans les localités d’origine et la reprise des activités économiques. Le redéploiement de l’administration dans la partie nord du Mali est en cours. Les écoles dans leurs quasi-totalités sont ouvertes. La vie reprend son cours normal.

Ainsi dans la région de Gao, la situation sécuritaire est globalement satisfaisante à l’exception de quelques localités notamment les communes de Bourem et Bamba où l’on constate des cas d’
enlèvement de véhicules.

Les populations sont pour l’essentiel favorables aux opérations de sécurisation menées par les troupes maliennes et françaises. Toutefois, elles comprennent mal la passivité de certaines troupes de la Minusma qui selon elles ne sont pas résolument engagées à combattre les terroristes.

A l’état actuel, les communautés vivent en symbiose et sont toutes favorables à la réconciliation nationale et à la cohésion sociale. Cependant, elles n’entendent pas pardonner les exactions commises sous l’occupation et  exigent que les auteurs soient recherchés et traduits devant les juridictions compétentes. En outre, elles demandent aux autorités maliennes de veiller à ce que toutes les communautés, sans distinction aucune, soient traitées au même pied d’égalité. Elles proposent également la création d’emplois pour les jeunes afin que ceux-ci ne se fassent pas enrôler par des individus malintentionnés à des fins anormales.

Par ailleurs, dans le cadre d’un retour définitif à la paix et pour réussir la réconciliation nationale, la ville de Gao a abrité, courant 2014, deux assises régionales sur la réconciliation au cours desquelles les participants issus des différentes communautés ont proposé  des voies et moyens pour dégager des perspectives pour toute la région en matière de réconciliation de gouvernance et de développement. Ce faisant, les différentes communautés ont profité de l’occasion pour instaurer un débat inclusif, se dire la vérité en face et trouver des réponses adéquates aux préoccupations communes dans un esprit de solidarité, de cohésion et d’unité dans la diversité.

Dans la région de Tombouctou, la situation sécuritaire est dans l’ensemble rassurante à l’exception de quelques attaques à mains armées perpétrées dans certaines localités par des personnes non identifiées.

Les communautés vivent en harmonie dans la quasi-totalité de la région. Elles adhèrent toutes, à l’idée de la réconciliation et de l’instauration d’une paix durable, estimant que toutes les communautés sont interdépendantes. Elles exigent, cependant, que la lumière soit faite sur les exactions commises,  que justice soit rendue et que les victimes soient réhabilitées. Toutefois, on a enregistré en début janvier 2014 des problèmes de cohabitation entre les Touaregs et les autres communautés de la ville de Goundam. En effet, les populations étaient hostiles au retour au sein de la communauté  touareg de quelques complices du MNLA (Mouvement National de Libération de l’Azawad) sous l’occupation.

En outre, sous l’égide du Ministère de la Réconciliation Nationale et du Développement des Régions du Nord, tous les cercles de la région ont organisés des fora afin de trouver des voies et moyens susceptibles de contribuer à la réconciliation et à la cohésion entre les communautés. La phase régionale qui regroupe les délégués venus de tous les cercles est en cours depuis le 31 Mars dernier à Tombouctou et durera une semaine. Ce sera l’occasion pour les différentes communautés d’étaler tous les problèmes liés à la crise et d’en débattre pleinement afin de trouver des solutions concrètes, durables et des garanties de non répétition.

Dans la région de Mopti, la situation sécuritaire est très préoccupante. En effet, on assiste très fréquemment à des cas d’attaques à main armée des véhicules de transport de forains qui sont dépouillés de leurs biens. Ces actes sont perpétrés par des individus non identifiés tantôt de peaux blanches tantôt de peaux noires dans les localités de Douentza, Tenenkou et Youwarou. Ils opèrent, le plus souvent, à bord de motos avec des armes de guerre et des armes de fabrication artisanale. Les populations attribuent ces forfaits soit aux combattants du MNLA soit à des militaires maliens radiés.

Par ailleurs, dans
les localités de Tenenkou, Youwarou (tous les deux chefs-lieux de cercle dans la région de Mopti), Léré (Cercle de Niafounké, Région de Tombouctou) et Nampala (Cercle de Niono, région de Ségou), la question de la réconciliation est précaire. En effet, les communautés gardent toujours le mauvais souvenir de la crise et attribuent la responsabilité de celle-ci aux Touaregs qui en étaient les principaux animateurs.

S’agissant particulièrement de la communauté peuhle desdites localités, elles estiment, du début de la crise à nos jours, avoir enregistré de pertes énormes en vies humaines, en bétails et autres biens matériels. Les bétails enlevés par les assaillants ont, disent-ils, été conduits vers la frontière mauritanienne. C’est ainsi qu’une milice d’autodéfense est en voie d’être constituée discrètement pour assurer la sécurité de la communauté peuhle qui n’entend plus se laisser déposséder de ses biens.

En outre, dans la ville de Tenenkou  les populations avait décidé d’organiser une marche en vue de protester contre le retour parmi les forces de l’ordre maliennes d’agents d’ethnie Touaregue qu’elles considèrent comme des traîtres capables, à tout moment, de se retourner contre elles. Ladite marche n’a finalement pas eu lieu, faute d’autorisation de la part des autorités compétentes.

Dans le même cercle, précisément à Ouoro-Boubou, des messages d’incitation à la haine ont été lancés à l’encontre des communautés Touarègues sur les ondes de la station radio « Beldo Horé ». Afin d’éviter de telles pratiques, les autorités locales ont finalement procédé à la fermeture de ladite radio.

Dans la région de Kidal, la situation est toute particulière. On assiste à un retour minime des populations déplacées et réfugiées. Les activités économiques reprennent timidement. Le retour de l’administration n’est pas effectif. En effet, aucun service de l’Etat ne fonctionne dans la ville de Kidal même si les Directeurs régionaux sont déjà sur place. Les écoles demeurent fermées à Kidal, Abeibara et Tin Essako. Seules celles de Tessalit, Anefis et Aguelhoc sont ouvertes.

Les habitants vivent dans une insécurité totale. On enregistre fréquemment des cas d’attaques à main armée en pleine ville. Les forces armées maliennes ne peuvent pas circuler librement dans la ville. Elles restent cantonnées au Camp I et dans les locaux du Gouvernorat. Les combattants du MNLA occupent les locaux du lycée de Kidal, la garnison de la gendarmerie et le palais de justice. Ceux du HCA (Haut Conseil de l’Azawad) abritent les locaux de l’Assemblée Régionale et la Maison du Luxembourg.

Les communautés vivent dans la méfiance totale. Les Touaregs sont hostiles à toute attitude d’appartenance au Mali exprimée par un membre d’une autre communauté. Ils s’attaquent aux auteurs de comportements pareils. Des boutiques appartenant à la communauté songhaï sont fréquemment des cibles de plusieurs braquages tandis que celles appartenant aux Touaregs n’ont jamais fait l’objet d’un quelconque acte de vandalisme.

IV-           ANALYSE DE LA SITUATION ET PROPOSITIONS :

Au regard de tout ce qui précède, il importe de souligner que la situation dans la zone septentrionale du Mali est en nette progression. La  vie reprend graduellement son cours normal et une lueur d’espoir s’ouvre. Le processus de réconciliation est en marche. Les communautés de façon générale adhèrent à l’idée de la réconciliation tout en exigeant une justice forte  et un traitement égalitaire de toutes les communautés. L’Etat du Mali, à travers le département en charge de la réconciliation, est entrain tant bien que mal d’œuvrer à instaurer un climat de paix, de stabilité et de cohésion entre toutes les communautés concernées.

En
tout état de cause, la vraie réconciliation sera celle que tous les maliens, sans distinction aucune, instaureront  après de débats francs, constructifs et inclusifs. Elle n’est, toutefois, pas l’apanage des seuls maliens. Sa réussite repose sur la disponibilité et l’adhésion de la communauté internationale et des partenaires techniques et financiers.Les efforts doivent converger vers le même but afin de doter l’appareil d’Etat de véritables pouvoirs destinés à lui permettre d’exercer pleinement le rôle de gardien vigilant des libertés individuelles et collectives.

L’instauration d’une paix durable et de la réconciliation entre les communautés supposent un effort généralisé tendant à modifier les modes de pensée et d’établir des relations fondées sur la tolérance et la solidarité entre des populations séparées par des différences culturelles. Pour y aboutir de façon sûre et efficace, il est impérieux de :

–       Instaurer des démarches inclusives en faveur de la sortie de crise et de la réconciliation nationale ;

–       Engagés des poursuites judiciaires à l’encontre des auteurs des exactions ;

–       Edifier une justice forte et efficace dans la zone fragilisée par la crise ;

–       Promouvoir des méthodes traditionnelles de résolution des conflits ;

–       Recenser et réhabiliter toutes les victimes de la crise ;

–       Créer un cadre permanent de dialogue intercommunautaire sur toutes les questions sensibles dans les régions nord du pays ;

–       Bannir toutes formes de discrimination ou de favoritisme à l’égard d’une communauté quelconque ;

–         Créer de l’emploi ou des activités génératrices de revenus au profit de la jeunesse ;

–       Renforcer la présence militaire pour assurer la sécurité des personnes et de leurs biens ;

–       Veiller à l’application correcte des recommandations issues des assises sur la réconciliation tenues partout sur le territoire national,  si nécessaire, à travers l’adoption de mesures législatives ou règlementaires.