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NEGOCIATIONS. L’enjeu de la terre, de la politique agraire et du développement rural (CINEP/PPP#2)
Par l’équipe de chercheurs du CINEP/PPP. Décembre 2012. Au cœur des enjeux des négociations de paix de La Havane entre le gouvernement colombien et les groupes armés, la question de la terre constitue un point essentiel, conditionnant l’avenir du processus de négociations tout autant que celui de la population du pays. L’équipe du CINEP/PPP propose ici son analyse détaillée pour aider à comprendre cette étape historique pour la Colombie.
Les raisons structurelles pour lesquelles la politique de développement agricole intégral occupe la première place dans l’agenda de négociation de paix entre le Gouvernement national et la guérilla des FARC-EP sont bien connues. Evidemment, l’Etat colombien a une dette historique envers les habitants les plus pauvres des zones rurales, dans laquelle se détachent au moins deux éléments : d’une part, faire en sorte de donner la possibilité d’un accès sûr et équitable aux terres agricoles et, d’autre part, reconnaître et protéger leur participation réelle en tant que sujets politiques. Mais, outre le fait de solder celles-ci, et d’autres dettes historiques, le processus de paix actuel met le pays au défi de s’interroger sur la nécessité de construire un modèle de politique agraire des terres et de développement rural plus en accord avec ses besoins et sur laquelle puisse se fonder une paix stable et durable.
La construction de ce nouveau modèle implique que l’Etat, comme les différents acteurs qui composent la société civile colombienne identifient avec plus de clarté les aspects les plus problématiques du modèle agricole en vigueur, sur lesquels il faut susciter un large débat qui mène à sa transformation. Un premier obstacle auquel est confronté le processus de paix ce sont les messages contradictoires sur la possibilité de discuter à la table de négociation du modèle structurel de développement économique. Bien que les FARC aient insisté pour que cette discussion soit inscrite sur l’agenda, le gouvernement national a signalé que l’actuel modèle de développement économique ne fait pas partie du processus de négociation. Le devenir des négociations permettra d’observer combien d’éléments structurels du modèle économique seront touchés par le processus de négociation.
Le CINEP/PPP rend visible, dans ce contexte, cinq aspects qui doivent être pris en compte dans ce point de l’agenda pour les dialogues de paix : 1) les propositions de politique publique des terres et le développement rural, 2) le manque de représentation politique des paysans qui se répercute sur la construction des politiques publiques, 3) les transformations que requiert l’institution publique rurale, 4) les demandes d’autonomie territoriale des groupes ethniques et des populations paysannes et, 5) la légalisation des droits sur les terres, au-delà de l’agenda de négociation. Nous présentons plus loin quelques éléments de réflexion qui montrent la complexité et les contradictions du débat.
La politique publique agricole, des terres et du développement rural
Le projet de loi sur les terres et le développement rural qu’a construit le gouvernement, comme la proposition de loi alternative présentée par les organisations sociales rurales qui sont invitées à la Table Nationale d’Unité Agricole, sont des propositions de politique publique qui identifient quelques aspects problématiques de l’actuel modèle de développement rural et proposent certaines transformations. Du point de vue du gouvernement, la proposition qui a été formulée peut se
présenter comme une matière première importante pour la table de négociation. Même si le projet de loi officiel ne va pas être étudié tel quel au cours des négociations, puisque son domaine naturel est le domaine législatif et les mécanismes de participation citoyenne associés, leur présence marque la position du gouvernement sur ce sujet à la table de négociation. Quelques uns des éléments les plus remarquables dans cette proposition sont le concept de développement rural d’un point de vue territorial, et le pari du gouvernement pour la récupération des terres en friches. Ces deux éléments permettent de montrer la volonté du gouvernement d’aborder des thèmes de fond dans ce secteur et la nécessité de les restructurer.
Ainsi la démarche parlementaire resterait sujette aux avancées du processus de négociation à La Havane. Du point de vue institutionnel, ceci a des conséquences énormes, la principale étant que le thème agricole reste lié directement à la possibilité de la fin du conflit. Dans ce sens, la coalition politique dirigeante du pays serait prête à faire une profonde réforme rurale, orientée de façon à favoriser les intérêts des paysans, des indigènes, de la population afro colombienne, à équilibrer les relations sociales rurales, à diminuer la concentration excessive des terres, et ainsi verser d’énormes budgets publics dans le secteur rural. La construction de la paix requiert donc une phase au cours de laquelle le gouvernement intervient avec la mise en œuvre d’un ambitieux plan de développement rural, qui permette la diminution des déséquilibres entre la ville et le monde rural. De ce point de vue, la réforme rurale dépend autant de la fin du conflit que de la construction d’une paix plus stable et plus durable.
La proposition de développement rural d’un point de vue territorial, qui réunit les éléments de la nouvelle ruralité[1], a déjà été adoptée par des pays comme l’Espagne, le Brésil, le Chili et le Mexique. Sous cet angle, aussi bien l’identité culturelle que les caractéristiques géographiques des territoires sont les éléments sur lesquels se construisent les propositions de développement, étant entendu que le développement rural n’est pas seulement le développement de l’économie agricole. Cet angle de vue implique un acte de décision politique des forces sociales qui peuplent un territoire et, par conséquent, créent un accord pour y vivre ensemble sur les bases de ses conditions économiques, sociales et culturelles. Dans la perspective du gouvernement, l’angle de vue du développement territorial ne remet pas en question le concept de compétitivité, mais, au contraire, lui donne un sens plus large. Sous cet angle, la compétitivité n’est pas prédéterminée par une proposition de développement rural, mais par l’ensemble des éléments qui peuvent rendre compétitif un territoire, comme l’infrastructure, l’accès aux ressources, et même des conditions de compétitivité générées par les traités de libre échange et d’intégration économique. Dans ce sens, la compétitivité est régionale, et l’investissement des ressources publiques se centrerait de façon à toucher le territoire dans son ensemble, au lieu de disperser les ressources par le financement de projets non structurés.
Au-delà du modèle de développement qui peut être défini dans les projets de la politique publique, il est important de souligner que la construction de la paix doit se faire au moyen de pactes régionaux différenciés. L’expérience de travail régional du CINEP/PPP, permet de confirmer que la variété des thèmes et les conflits sont si différents dans chaque territoire, qu’on devrait
décentraliser les pactes pour les adapter aux contextes spécifiques. De cette façon, dans le processus de construction de la paix on devrait donner la possibilité de régionaliser les politiques de développement agricole, des terres et de développement rural.
Bien qu’on reconnaisse qu’il y a eu un virage dans le point de vue du développement territorial rural que propose le gouvernement, on se demande si dans les concepts fédéraux qu’on utilise pour se référer au développement rural et au conflit agricole il n’y a pas des idées très différentes, parfois contradictoires.
Par conséquent, il est nécessaire de remplir les contenus de ces propositions en tenant compte des contextes régionaux, en différenciant aussi bien les problèmes agricoles que les problèmes des habitants les plus pauvres des zones rurales et du développement rural. Dans ce sens, pour la construction de la paix il faudrait procéder à une planification décentralisée du développement agricole et rural région par région, qui pourrait être négociée par les groupes de pouvoir réels, aussi bien les légaux que les illégaux, les fonctionnaires et les corporations, les transformations nécessaires réelles, territoire par territoire, pour que la paix soit un accord consistant qui engage les parties en conflit.
Cependant, cette proposition de négociations régionales pour la construction de la paix est un défi majeur. Il est fortement improbable que les secteurs de l’establishment, très critiques à l’égard du processus de négociation, rejoignent la proposition uniquement par la voie des plans institutionnels. La négociation politique aux niveaux régionaux doit prendre en compte cette situation, surtout quand ce sont ces mêmes secteurs, les plus puissants et les plus conservateurs qui sont bien présents dans le monde rural, ceux qui historiquement ont empêché que les réformes structurelles se réalisent en zones rurales. C’est pourquoi les processus de négociation sur le plan régional doivent tenir compte non seulement des acteurs sociaux et politiques, mais aussi des acteurs économiques, et de leur lien étroit avec les acteurs politiques (légaux ou illégaux); en effet ceux-ci ne vont pas cesser de pénétrer les territoires ni ne vont restituer les terres usurpées, uniquement en vertu des accords de paix. Ceci montre l’importance du thème de l’organisation territoriale dans le pays et les obstacles qu’il faut surmonter pour construire une politique agricole et rurale qui contribue vraiment à une paix stable et durable dans chaque région et dans le pays.
Manque de représentation politique du monde paysan
Le second élément dont il faut tenir compte est le manque de représentation politique des différentes populations du monde rural, ou son manque de considération en tant qu’acteur politique face aux institutions et instances de prise de décisions. Une des recommandations du rapport du PNUD est la nécessité d’avancer dans la reconnaissance de ceux-ci en tant qu’acteurs politiques, avec une agence propre, et pas seulement comme un acteur économique prêt à accepter les priorités du développement[2](2). Du point de vue institutionnel, la proposition de politique rurale s’est construite grâce à de larges processus de participation, un dialogue constant et la consultation des organisations sociales qui représentent les indigènes, les paysans et les afro
descendants. Cependant, pour le gouvernement, l’exercice de ce droit fondamental des communautés ethniques a parfois été dénaturé, dans la mesure où il n’a pas rempli son but de reconnaître et respecter les droits des communautés et des peuples, mais qui a opéré une distorsion dans sa mise en œuvre, du fait que quelques secteurs, leaders, hommes et femmes, de quelques organisations ethniques ont donné la priorité à leurs intérêts personnels, générant ainsi une sorte de clientélisme ethnique.
Il est important de reconnaître que dans les décennies antérieures et dans d’autres contextes politiques, sociaux et économiques, on a compté sur une participation élevée des paysans, en particulier sur l’Association Nationale des Usagers Paysans( ANUC) dans les années 70 et 80, et que même si elle s’exprimait selon diverses lignes idéologiques et d’organisation, elle alimentait d’importants niveaux d’unité. Aujourd’hui, le gouvernement affirme qu’il se trouve face à une organisation paysanne dispersée et divisée, et il signale qu’il n’y a aucun espace de représentation qui réussisse à réunir ou dominer majoritairement la position des différents secteurs de populations qui vivent dans les zones rurales. Selon le gouvernement, compter sur ce cadre aurait grandement facilité les processus de consultation du projet de loi des terres et de développement rural avec ce secteur. De ce point de vue, remédier à l’absence d’une figure que recueille, au niveau national, les différents processus et organisations de populations dans le secteur rural est une priorité. Dans ce sens, le gouvernement doit relever le défi de promouvoir la participation tant des organisations de base que des organisations régionales et nationales, aux multiples niveaux et cadres d’incidence politique.
Cependant, il faut tenir compte du fait que cette situation de faiblesse s’explique aussi, parce que les organisations d’habitants des zones rurales ont été affaiblies par le conflit armé, la criminalisation et la poursuite juridique de la protestation sociale. Il est aussi important de reconnaître que ces organisations, au niveau national, ont développé une importante stratégie agricole d’organisation pendant les 10 dernières années, fait qui a aboutit à l’acceptation de la Table Nationale d’Unité Agricole.
Transformation de l’institution publique rurale
Mettre en œuvre la proposition de développement agricole et rural du gouvernement va impliquer un processus d’encadrement institutionnel significatif, par lequel il faut renforcer les instances régionales, créer des schémas d’organisation territoriale, au-dessus des municipalités ou des départements, dans ces territoires qui partagent des caractéristiques de culture communes ou complémentaires. Si le processus de paix arrive à son terme, ce que l’on verra dans le futur c’est que le projet de développement agricole et rural sera accepté comme une des voies vers la fin réelle du conflit et la construction d’une paix durable. Dans cette logique, il devra surgir une instutionalité régionale, de niveau intermédiaire entre la nation et les communes, qui devra aider et soutenir les forces de chaque territoire. C’est pourquoi l’institutionalité rurale locale, en particulier des instances comme l’Institut Colombien de Développement Rural (Incoder) devra se réorganiser et s’adapter pour accompagner les projets de développement rural dans le cadre de la construction de la paix. Un exemple concret de cette proposition est que la planification du développement rural devra être réalisée en tenant compte des écosystèmes, des systèmes de production, des cultures agricoles présentes sur le territoire, ainsi que des opportunités économiques
endogènes et exogènes, et pas seulement des produits comme objets de consommation. Il faut être conscient du fait que ces exercices doivent affronter un contexte complexe dans lequel la planification et les priorités du développement agricole, rural et d’organisation territoriale sont ébranlés par les opportunités, les conditions et les risques des traités de libre échange par les différents secteurs agricoles et ruraux du pays.
Il existe encore d’autres problèmes dont il faut tenir compte. Dans le pays il y a de très grands territoires qui sont confrontés à des conflits agraires dont les caractéristiques sociales et culturelles présentent des différences évidentes. Il ne suffit pas de créer des institutions régionales pour s’occuper de ce type de situations, mais il faut aussi garantir que leur intervention reconnaisse ces profondes différences. Bien que la Constitution de 1991 ait défini un cadre de reconnaissance des droits des groupes ethniques, l’absence de garantie sur les droits territoriaux pour les populations paysannes métisses en particulier est évident. Les institutions publiques doivent travailler sur la mise en œuvre d’un angle de vue différencié et multiculturel qui, outre qu’il reconnaisse l’existence des territorialités, rende visibles les usages partagés sur ces territoires par des populations qui présentent des différences culturelles. Un angle de vue qui tend à naturaliser les territorialités peut favoriser l’émergence, ou aggraver les conflits déjà existants. Ceci a paru évident dans certaines zones du pays quand sont apparus des conflits entre communautés indigènes, paysannes métisses, situations qui ont été observées dans le département du Cauca ou du fleuve San Juan dans le Chocó.
Un autre défi concernant la restructuration de l’institutionalité rurale, en termes de renforcement de l’administration régionale est le dialogue entre les niveaux national, départemental et local. Pour cela il est nécessaire de reconnaître que les régions ne sont pas figées, mais qu’elles présentent un grand dynamisme et qu’elles se transforment au cours du temps. Il a déjà été montré comment l’absence de reconnaissance des forces territoriales a eu pour conséquence l’impossibilité de mettre en œuvre les politiques nationales dans les territoires; de plus il n’est pas toujours possible que de nombreuses propositions régionales puissent se structurer dans une seule proposition nationale. Il est important de souligner qu’ont existé et existent des institutions importantes sur d’autres modèles de développement rural, comme les Unités Municipales d’Assistance Technique Agropastorale (UMATA) et les Conseils Municipaux de Développement Rural (CMDR). Cependant différents changements institutionnels et les pressions de l’évolution néolibérale, ont fait que ces instances ont été abandonnées et qu’on a poussé à la modernisation de la production paysanne au moyen de son intégration directe aux marchés spécifiques, et pour cela on a compté sur des instances comme les Centres Provinciaux de Gestion Agro entrepreneuriale. Une des caractéristiques du nouveau modèle pourrait reprendre les institutions qui faciliteraient, aussi bien la territorialisation que les nouvelles formes d’économie et de développement rural dans les contextes actuels ainsi que la reconnaissance des habitants ruraux comme des sujets politiques.
En résumé, il existe un ensemble d’institutions publiques qui doivent se restructurer pour rendre possible la mise en œuvre d’un modèle de développement agricole et rural pour la paix. Du point de vue de l’état, par exemple, un problème structurel est la consolidation du cadastre. En Colombie cette source d’information n’est pas actualisée dans son contenu et est techniquement déficiente. Normalement, un cadastre moderne inclut la description physique de la propriété, l’estimation du bien et les
relations de propriété. Actuellement la technologie cadastrale est archaïque, le cadastre ne géo référence pas les limites des propriétés et on prend les mesures sans recourir aux moyens scientifiques contemporains de géo référencement. Pour synthétiser, le pays n’a pas créé un véritable cadastre. Cependant, cette affirmation doit être nuancée au moins pour deux situations : 1/ il y a des départements où l’on trouve une solide information cadastrale; et 2/ les instruments et les systèmes modernes d’information géographique sont appliqués, de manière limitée, à la solution des conflits territoriaux et de l’accès de la majorité des habitants ruraux à la terre, et sont de préférence utilisés dans le but de faciliter l’action des industries extractives dans le pays.
Pour le gouvernement, une opportunité du processus de paix est d’actualiser et de consolider un cadastre transparent, et donc crédible, des terres agricoles dans le pays. L’absence de celui-ci représente des coûts énormes, accélère l’apparition des conflits, affaiblit la collecte des impôts, et par là la présence de l’Etat. A ce sujet, il faut revoir les conséquences de la décentralisation en matière d’impôt, surtout quand les gouvernements municipaux doivent percevoir les impôts sur les terres et qu’ils n’ont pas la capacité de le faire. En résumé : l’institutionalité rurale pour la construction de la paix doit permettre aux acteurs des conflits de prendre des dispositions pour résoudre leurs différends par les canaux du pouvoir institutionnel et non par l’usage illégitime des armes.
Les projets d’autonomie rurale
Actuellement, l’Incoder a manifesté son intérêt pour le renforcement des Zones de Réserve Paysanne (ZRC), les activités vont donc revitaliser les zones déjà existantes jusqu’à créer celles qui sont en cours et proposer de nouvelles zones. Il est important de reconnaître que du point de vue institutionnel, les ZRC ont plusieurs puissants ennemis, l’un des plus évidents étant la Force Publique elle-même, qui a manifesté sa méfiance envers ce schéma, étant donné que ces zones sont perçues comme des espaces enclins à se soumettre à l’influence de la guérilla. Une attente du processus de paix actuel est de mettre fin à ces préjugés, qui perdraient tout fondement, pour la Force Publique et pour la société dans son ensemble, si on faisait la distinction entre ces organisations ou territoires sur lesquels retombe la suspicion d’être influencés par les insurgés, et ceux qui ne le sont pas.
La perspective gouvernementale montre qu’on est en train de faire un énorme effort pour élargir et assainir ces territoires; ceci implique de sortir la population qui ne doit pas être là et qui a usurpé le territoire des groupes ethniques. La signature des accords de paix demandera un plus grand effort pour la mise en œuvre aussi bien de la politique d’assainissement des terres et des territoires que de la politique de restitution des terres.
Un exemple de négociation régionale sur les conflits agricoles et ruraux pourrait être celui du département du Cauca. Ce processus devrait reconnaître et transformer les disparités dans la détention de la terre de la part des acteurs les plus puissants parmi lesquels on peut détacher les raffineries de sucre, et générer ainsi un processus de distribution démocratique des terrains agricoles. Dans ce pacte, du point de vue du gouvernement, le résultat serait aussi la définition des limites pour la constitution de territoires des peuples indigènes et des communautés noires. Cette affirmation mérite d’être analysée d’un point de vue critique.
La légalisation des droits sur les terres agricoles : au-delà de l’agenda de la négociation
En termes de politique des terres il existe un nouveau défi : comment obtenir que les politiques de légalisation des droits sur les terres, parmi lesquelles la politique de restitution, facilitent la transformation des relations de pouvoir dans les zones rurales, et non leur maintien? Ce type de questions doit mener à engager un débat profond sur l’utilité, la consistance et la convenance des programmes de légalisation des droits de propriété sur les terres agricoles.
La légalisation de la propriété de la terre permet que les habitants ruraux soient reconnus comme les propriétaires légitimes des domaines. Cela leur donne la possibilité, comme à quiconque, de réclamer leurs droits et de répondre de leurs responsabilités citoyennes. Cela est indiscutable. Mais la seule légalisation de la propriété, même si elle est un élément central pour les habitants des zones rurales, nécessite d’autres garanties et reconnaissances des droits sociaux, économiques, politiques et culturels, pour que le titre de propriété ait des effets suffisants et consistants. Par exemple, les petits producteurs devraient avoir des facilités pour le développement, le crédit, la commercialisation, l’assurance des risques et l’assistance technique pour protéger leurs cultures. Les communautés des zones rurales devraient avoir une infrastructure routière, sanitaire, éducative et de récréation qui rende durable leur qualité de vie sur leur territoire. Un titre de propriété d’un petit agriculteur doit bénéficier des protections suffisantes sur le marché des terres pour éviter la perte de celui-ci dans un contexte de disparités commerciales face aux investissements du grand capital.
Dans ce sens, on ne peut pas accepter, ni ne doit donner prise à celui-ci, et, au contraire, on doit prendre des mesures de politique publique sociale et économique pour éviter à tout prix que les processus de légalisation facilitent la concentration de la propriété de la terre. Les titres de propriété doivent être équivalents dans tous les cas, dans le sens où ils doivent offrir la sécurité aussi bien pour les petits que pour les grands investissements de capitaux. Cela exige que la concurrence sur le marché agricole doive être équivalente pour le petit comme pour le grand investisseur. Cela veut dire que pour éviter que les grands excluent les petits on doit élaborer et appliquer des politiques publiques qui établissent des règles du jeu claires et ne pas tomber dans une disparité qui porte préjudice aux petits investisseurs. Pour cela on a besoin d’un Etat organisé et présent qui fasse valoir les droits et les limites des uns et des autres, en régulant et en surveillant les droits et en exigeant les responsabilités citoyennes. Un Etat et une société modernes où l’on convienne des règles du jeu et qu’on les respecte en toute clarté et où il soit possible de résoudre les conflits par la voie des arguments et des lois approuvées et non par la force, les armes et la violence.
De cette façon on comprend que la rigueur appliquée aux titres de propriété devient un facteur téterminant du droit et de l’accès à la terre, chaque fois qu’il est accompagné des autres composantes sociales, politiques et culturelles pour que les habitants des zones rurales vivent dignement sur leur territoire. L’effort consiste alors à réduire la distance qui existe entre les systèmes sérieux de droits sur les terres, dont le principal élément sont les titres et les droits de propriété publique, privée et la réalité : les titres légaux ne sont pas que des papiers, ils doivent être des
réalités qui doivent s’accomplir par la voie de la légalité.
De cette façon ce qui permet la permanence sur le territoire se base autant sur le fait de compter sur les droits sérieux de propriété sur les terres, comme la capacité de produire et de réaliser en ce lieu les projets de vie sociale et culturelle. La légalisation de la propriété, protégée par les politiques publiques et des mesures économiques pour un développement et agricole incluant, démocratique et juste, doit rendre possible la construction d’une paix stable et durable pour chaque région en particulier et pour le pays en général.
Il est important de noter à ce sujet que, malgré ces argumentations, le monde rural est plein de diversités et de contradictions. Ni les systèmes traditionnels, ni les systèmes sérieux n’ont la capacité d’éviter la totalité des conflits qui peuvent se présenter en ce qui concerne l’accès, la détention et l’administration des terres agricoles. Quand certaines communautés rurales cherchent des voies sérieuses pour parler de la propriété, de l’usage et de la jouissance de leur terre, d’autres sont en train de construire des systèmes autonomes d’administration et de régulation des droits sur les terres agricoles. Une proposition qui s’occupe des causes structurelles de ces problèmes peut être la construction de multiples modèles d’administration et de gestion des droits sur les terres agricoles qui reconnaisse aux paysans, indigènes et afro colombiens comme des sujets politiques, avec la capacité de prendre des décisions sur comment administrer leurs territoires, au moyen de la participation à des espaces qui reconnaissent la Constitution et la Loi. Dans cette proposition, le titre sur les terres agricoles doit avoir une valeur politique, culturelle et sociale, et pas seulement une valeur juridique ou économique. De cela découle le fait que certains pensent que, même si les droits de propriété sur les terres peuvent en fin de compte être utiles pour la régulation de certaines relations d’usage, profit et de mise à disposition, is ne doivent pas être le seul critère sur lequel établir les relations entre les populations et leurs territoires. Par conséquent, de nouveaux concepts et catégories juridiques qui soient davantage en accord avec les diverses réalités dans l’évolution actuelle du monde rural sont nécessaires.
En guise de conclusion
Nous nous trouvons à un moment crucial du débat et de l’accord pour les politiques agricoles et de développement rural. Pour certaines analyses qui coïncident avec le point de vue du gouvernement, une des caractéristiques les plus significatives de ce moment est que la classe dirigeante, ou du moins une partie significative de celle-ci, est disposée à négocier ce qui jusqu’alors a été non-négociable dans l’histoire du pays : l’accès et le contrôle des terres et des territoires. Cette possibilité présente plusieurs preuves et cadres, tels que la table de négociation de La Havane, les démarches législatives des initiatives de loi des terres -aussi bien l’officielle, que l’alternative- et les espaces de participation qui faciliteront la reconnaissance comme sujets politiques des secteurs ruraux habituellement exclus.
D’autre part, il est important de comprendre que les diverses positions qu’affrontent différents secteurs du monde rural face à ce problème structurel. Par exemple, les éleveurs en sont arrivés à affirmer que dans le pays il n’y a pas de problème agricole, ni de concentration des terres. Et d’autres secteurs de l’élite rurale ont bénéficié de la consolidation
de l’actuel modèle de développement rural, contrairement à la majorité de la population rurale.
Cependant, actuellement il existe une opportunité, pour des secteurs de ces élites, de se séparer de l’alliance mafieuse qui a monopolisé l’Etat et qui a tiré profit de l’actuel modèle de développement rural. Ce défi est majeur surtout si l’on tient compte que ce sont ces mêmes élites qui ont empêché ces réformes agricoles en d’autres occasions. Le soutien au processus de paix s’inscrit dans ce débat, dans lequel la diversité des positions peut favoriser l’identification d’alternatives pour la construction de la paix dans les zones rurales, qui peut être à long terme la construction de la paix dans le pays.
[1] La nouvelle ruralité est « la croissante multi ou pluriactivité de l’économie paysanne par sa croissance de l’emploi dans les activités agropastorales, autant dans la propriété qu’en dehors de celle-ci, par exemple, l’artisanat, le commerce, le transport, le tourisme rural et la transformation des produits d’agriculture et d’élevage». Cristóbal Kay, ““Enfoques sobre el Desarrollo Rural en América Latina y Europa desde mediados del Siglo Veinte”. En: María Adelaida Farah y Edelmira Pérez (Editoras), “Enfoques y perspectivas de la enseñanza del desarrollo rural”. Bogotá, Universidad Javeriana, 2005. p. 86.
[2] Selon le rapport, «l’essentiel est la reconnaissance sociale et politique des paysans comme acteurs sociaux de plein droit en tant que citoyens ayant la capacité de se représenter politiquement et de participer aux projets nationaux de développement. Cette reconnaissance ne naît pas d’une déclaration publique ni d’une norme légale comme les articles de la Constitution Nationale sur les droits des personnes, ou de la publication d’une loi, mais de faits positifs de la politique publique et des attitudes et actions de la société civile envers le secteur rural, comme le respect et la reconnaissance des différences et le traitement juste. Justice, équité, non-exclusion et égalité des chances sont l’expression de cette valorisation de la classe paysanne». Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD). « La classe paysanne. Reconnaissance pour construire un pays ». Bogota, PNUD, 2012.p.111.