CITOYENNETE. Une justice de proximité à la recherche d’un équilibre.

Humaine, rapide et adaptée aux contextes locaux, la justice de proximité continue d’incarner, dix ans après sa mise en place, une justice en prise avec les attentes des Français. Pensée pour résoudre les carences de la lenteur des instructions notamment, la justice de proximité, en s’attachant à répondre en particulier aux petits litiges du quotidien, n’échappe pas à certain travers. Récit de séances sans apparat où avocats et justiciables continuent de questionner la pertinence d’une Justice en transition.

Par Joanna Deneuve, juriste-stagiaire

justice proximité citoyen sécurité conflit voisinsLa proximité, c’est « Une justice au service des citoyens, accessible, rapide et égale pour tous » précisait Elisabeth Guigou, alors ministre de la justice1. Il apparaît primordial dans cette communication de pallier à une insuffisance judiciaire traduite notamment par un souci d’engorgement des tribunaux d’instance. Cet engorgement suscite ainsi chez les justiciables un sentiment d’insatisfaction vis-à-vis de la Justice2. S’ajoute à cela une réelle volonté de rapprocher les citoyens de la Justice par la création entre autres d’une nouvelle juridiction.

En 2002, candidat à l’élection présidentielle, Jacques Chirac promettait d’assurer la mise en place d’une justice de proximité au service des citoyens, spécialisée dans les petits litiges civils, c’est-à-dire pour les affaires civiles dont les sommes ne dépassent pas les 4 000 euros. Les mécanismes juridictionnels devaient de ce fait s’adapter à cette catégorie de litiges essayant ainsi de garantir une justice performante. Le but étant de réduire les distances géographiques et temporelles liées à des délais excessifs de même que les contraintes économiques ainsi que culturelles. De manière plus générale, l’objectif était d’améliorer l’accessibilité du droit, la rapidité et les modes de règlements. Par amélioration des modes de règlements des litiges, cela signifie une simplification des procédures impliquant de nouveaux partenariats (association, élus locaux,…etc) ainsi que la création de nouvelles structures telles que la maison de la justice et du droit4.

Suite à l’adoption de la loi du 9 septembre 2002, plusieurs critiques sont apparues dont la principale vise directement la rapidité de l’adoption de cette loi5. En effet, apparemment, elle comporterait de nombreuses imperfections qui auraient pu être déjouées s’il y avait eu une réflexion préalable suffisante6.

Depuis des études ont été conduites dont l’objectif fut d’analyser les effets positifs et les désavantages de ce système. Or, il semble que dans la majeure partie de ces analyses le point de vue du justiciable ait été omis. Certes, certains rapports révèlent l’opinion publique sur la Justice en général mais il est difficile de pouvoir affirmer que le justiciable est satisfait de cette justice de proximité7. La question serait donc de savoir comment les justiciables perçoivent-ils cette
juridiction.

Un projet a été déposé au Sénat le 3 mars 20108. Celui-ci préconise la suppression pure et simple de cette juridiction. Désormais, publiée le 14 décembre 2011, la loi relative à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles, supprime les juridictions de proximité. En vigueur à compter du 1er janvier 2013, les compétences des juridictions de proximité seront confiées aux tribunaux d’instance ou de police. Les juges de proximité ne disparaitront pas pour autant, ils seront désormais rattachés aux tribunaux de grande instance, avec de nouvelles missions. Cela conduirait donc à un retour en arrière. En effet, les juges pourront-ils garantir la même écoute aux justiciables ? Est-ce que cela ne renvoie pas une nouvelle fois au traitement expéditif des dossiers ? Le Médiateur de la République dans un rapport en 2012 parle d’insatisfaction générale des services publics notamment à cause de l’insuffisance des relations humaines entre administration et administrés. L’erreur la plus grave pour celui-ci serait de supprimer la justice de proximité. Selon lui, il faut a contrario élaborer un texte plus équilibré, avancer vers une justice des litiges de la vie quotidienne9.

En observant le déroulement des audiences de la justice de proximité, on voit que le juge explique sans cesse les procédures et le droit applicable. Est-ce que le profil particulier des juges de proximité permet d’apporter une écoute plus adaptée aux justiciables ? Comment les justiciables la vivent-ils ? Les justiciables ont-ils réellement l’impression d’être face à une « juridiction à l’écoute », c’est à dire qui établit une relation efficace entre justice et justiciables ? Plusieurs années après son apparition, perçue comme une innovation majeure, l’activité des juges de proximité est remise en cause du fait notamment de certaines maladresses et de plusieurs manquements de leur part. L’avenir de cette justice est par conséquent limitée dans le temps.

Le justiciable à la recherche de l’application de son droit

A la recherche de réponses, dans les couloirs des tribunaux, les justiciables cherchent leur chemin, la salle de l’audience. Puis face à cette salle, le programme détaillé suspendu sur le tableau, il est possible d’entendre certains affirmer qu’ils ont le sentiment d’être « face aux résultats du baccalauréat ». Est-ce à cause du stress ou la peur de l’inconnu ? Ont-ils l’impression de retourner à l’école, de réapprendre ? Est-ce parce qu’ils attendent tout compte fait « une réponse » ? En matière civile, une grande majorité des justiciables va devoir passer l’un après l’autre devant le juge, sans l’assistance d’un avocat.

(Face à l’avocat…)

Lors d’une pause entre deux audiences, l’un des justiciables, attendant depuis 13h30, manifeste son mécontentement « ça fait trois mois que je viens. Et pour rien de plus. Si la partie adverse n’est pas là ou si elle demande un report, ça sera encore une fois de plus une demi-journée de congés de gâchée, des frais de transport et le parcmètre… ». Les justiciables prennent le temps de venir en pensant régler leur histoire une fois pour toute. En revanche, les avocats, eux, ont tendance à faire trainer l’affaire. Une pratique semble très courante chez bon nombre d’entre eux. Celle-ci consiste à demander un renvoi pour toutes les affaires arrivant la première fois à l’audience, y compris lorsque l’adversaire est un particulier se défendant seul. Est-ce générateur d’abus ? Cela nuit en tout cas au principe de jugement immédiat des
affaires. De plus, il est évident que les avocats, encore un fois, profitent de leur compétence technique et commettent un manquement grave vis-à-vis du justiciable. De fait, le plaideur a dans la plupart des cas, comme était le cas pour le justiciable interrogé, pris un jour de congé afin de pouvoir participer à l’audience. Le renvoi de l’affaire, à une prochaine audience, est d’une manière générale très mal accepté par les justiciables, plaideurs.

En outre, face aux avocats, un justiciable précise ne pas être déstabilisé par leur présence. Pourtant, les avocats eux profitent de la « méconnaissance » du droit et des procédures par les justiciables ce qui pourrait perturber le justiciable. Les avocats sont des techniciens du droit. Ils usent de cette connaissance en leur faveur alors que les justiciables, eux, restent attachés à leurs sentiments et n’ont pas l’habitude de manier le lexique juridique. Ils ont plutôt tendance à déballer tous les faits et leurs sensations en pensant que le juge reconnaitra leur statut de victime. Or, il faudrait plutôt mobiliser les faits indispensables à une synthèse juridique. L’application des règles de procédure de droit crée un déséquilibre flagrant entre plaideurs représentés par un avocat et ceux se défendant seuls.

(Face au Juge…)

Un autre justiciable, venu pour une histoire ordinaire, nous fait partager son désarroi. S’étant porté garant pour le prêt souscrit par un ami, il se retrouve aujourd’hui saisi par la banque quand son ami disparaît, sans rembourser l’emprunt. Déjà surendetté, cet habitant de l’agglomération aimerait que la juge explique à la banque qu’il s’est fait avoir et qu’il ne peut pas rembourser le prêt de son ami ». Le rôle du juge n’est pas perçu comme une application rigide du droit mais au contraire, comme un conseiller, un juge proche de ses justiciables. En effet, lors des audiences, le juge semble être habitué avec certaines interjections telles que « ça correspond à quoi ça ? ». Dans la plupart des cas, les justiciables ne savent pas comment appliquer les procédures, n’ont qu’une vague notion du droit applicable et qu’une connaissance incomplète de l’ensemble des pièces administratives à réunir. Le rôle du juge de proximité se démarque donc ici de celui d’un juge traditionnel. En effet, il semble avoir avant tout un rôle pédagogique, dialoguer plutôt qu’appliquer de manière rigide le droit. Peut-on ainsi parler de juge à l’écoute du citoyen ? Ils s’efforcent de les guider en posant des questions, en reformulant des explications confuses ainsi qu’en donnant fréquemment des conseils au moins procéduraux.

Une autre personne interrogée, présent à l’une des audiences, livre ses sensations sur cette justice de proximité. Il est étonné de la manière dont le juge se présente à l’audience, de la simplicité, du manque de formes solennelles. Le manque de formes est-il le fait d’un juge à l’écoute du justiciable, plus proche du citoyen ? En revanche, ce justiciable affirme que les jugements sont « expéditifs ». Le juge même s’il précise les procédures passe peu de temps sur chaque cas. Il ne pensait pas que « ce serait aussi rapide ». De plus, il n’a pas eu le temps de préciser les détails, un dialogue écourté où se confrontent un juge tenu par le temps et un justiciable attaché à ses sentiments. Cette justice a la volonté d’être à la fois accessible, efficace et surtout rapide.

En effet, en 2006, certains chiffres témoignent d’une justice rapide. Dès lors, le juge est à l’écoute dans un temps limité. En ce qui concerne les demandes introduites au fond devant la juridiction de proximité, le délai d’une procédure en moyenne, jusqu’à
jugement, est de 4 mois10. Cela tend à contredire l’opinion courante selon laquelle, la mise en place des juridictions de proximité aurait allongé les délais de jugement des affaires. De fait, ces délais se révèlent en moyenne sensiblement plus courts que ceux des tribunaux d’instance. L’idée étant de satisfaire les justiciables en écourtant les délais.

Un doute sur la compétence des juges de proximité

Il est important de rappeler que la spécificité de la juridiction de proximité est d’être composée de juges qui ne sont pas des magistrats de carrière. En effet, ce sont des professionnels provenant de domaines divers. Grâce à leur compétence et leur expérience, ils peuvent exercer ces fonctions judiciaires. Ce sont souvent des avocats, juristes d’entreprises, enseignants en droit, huissiers, notaires ainsi qu’anciens magistrats professionnels, la plupart du temps à la retraite. Ces personnes sont recrutées dans les formes prévues pour les magistrats professionnels. De plus, ils suivent une formation de deux semaines à l’école de la magistrature, complétée par un stage de 25 jours en juridiction. Ils assurent le plus souvent une seule audience civile par mois 11.

Ont été formulées, notamment au cours de l’année 2010, de multiples critiques relatives à la compétence de ces juges de proximité. Un avis partagé par un grand nombre, souvent des professionnels, est répandu selon lequel ils se disent soulager de la disparition de la justice de proximité12. En effet, ils dénoncent le caractère « amateur » des magistrats. Ces derniers rendent des « décisions médiocres ». Ce sont des jugements dits «aberrants». J’ai eu l’occasion d’interroger une professionnelle du droit qui précisait que les juges sont parfois incompétents. Cette incompétence a donné lieu à de fréquentes erreurs où dans certains cas les personnes auraient dû «gagné le procès». Ainsi, ces justiciables se retrouvaient souvent dans l’obligation de payer un avocat aux conseils afin d’annuler la décision, soit une procédure plus longue devant la Cour de cassation. Mais de quelle compétence parle-t-il ? Est-ce la maitrise du droit en se positionnant du côté du juriste ou alors, la compétence à résoudre un conflit du côté des justiciables ?

Pour les juristes, les juges de proximité ont une maîtrise insuffisante des règles de même que des méthodes de rédaction des jugements. Quant à la doctrine, elle la qualifie de «monstre juridique»13. Elle précise que le juge de proximité ressemble aux anciens juges de paix. De fait, ceux-ci jugeaient principalement en équité, c’est-à-dire sans être tenu d’appliquer les règles de droit. Or, les juges de proximité sont tout au contraire tenus de juger en droit. L’Association professionnelle des magistrats a ainsi déclaré que «l’augmentation massive» du nombre de juges est une «erreur majeure» qui entraîne «une dévalorisation inévitable du niveau de recrutement» et évite de «réfléchir au questions de fond»14.

En revanche, certains chiffres montrent qu’il n’apparaît pas d’incompétence manifeste des juges de proximité à traiter du petit contentieux confié, où les problèmes sont juridiquement peu complexes. De fait, les juges de proximité rendent des jugements dont 16,3% de ces derniers sont sans aucune motivation juridique, ce qui est minime 15. Cependant, une meilleure formation et préparation de ces juges à la rédaction et à la motivation de leurs décisions est souhaitable.

Pour ce qui est des justiciables, ils sont souvent surpris d’être face à une justice sans apparat. De fait, le juge ne porte pas de
robe, il ne demande à personnes de se lever. Tout compte fait est-ce que les apparats revêtent une forme d’autorité ? Est ce que les justiciables ont moins confiance en leur jugement ? Un justiciable précédemment cité trouve que c’est «l’expédition, tout le monde parle, personne ne fait attention au bruit qu’il émet». Le justiciable parle de «basse cour». La juridiction de proximité offre donc moins de garanties procédurales aux justiciable. Les principes directeurs sont malmenés16. Ce manque d’autorité amène, selon le justiciable, à une perte de légitimité. Dès lors, il est difficile pour les justiciables d’accepter qu’ils puissent résoudre un conflit.

Mais est-ce que supprimer la justice de proximité serait une solution à cette incompétence ? Revenir sur l’instauration de la justice de proximité s’avère nécessaire afin d’améliorer le système judiciaire. En revanche, aller jusqu’à supprimer cette justice pourrait priver les citoyens de ce besoin de justice pour les petits litiges de la vie courante.

Dans une volonté réelle de favoriser l’accès à la justice des litiges de la vie quotidienne en matière civile, la solution serait donc de supprimer les juridictions de proximité mais de maintenir les juges de proximité comme juges assistants des juges d’instance chargés d’assurer le jugement de petits litiges. La complexité juridique de certaines affaires en particulier ne peut être du ressort des juges de proximité. De plus, les décisions de ces juges de la vie quotidienne doivent être susceptibles de recours devant les juges d’instance 17. Lors de l’intervention de François Hollande sur le thème de la Justice, l’accessibilité se révèle être un grand principe directeur dans la démarche de Hollande sur le thème de la Justice. Il ne reste plus qu’à attendre de voir de quelle manière celui-ci veut la rendre accessible.

Dessin: Sylvie Guillot, 2005

1 Communication gouvernementale le 29 octobre 1997, Elisabeth Guigou : http://web.archive.org/web/20050328062232/http://www.rfi.fr/actufr/articles/031/article_16037.asp,

2 Valérie Gras, « Le gouvernement invente les juges de proximité », 2002, http://www.vie-publique.fr/politiques-publiques/presomption-innocence/index/

2 Jacques Lecomte et Jean-Claude Magendie, La Justice réparatrice, juin 2004, http://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=2&ved=0CCgQFjAB&url=http%3A%2F%2Fwww.psychologie-positive.net%2FIM

4 Anne Wyvekens, La Justice de proximité en France, Politique judiciaire de la ville et interrogations sur la fonction de Justice.

5 Loi n° 2002-1138 du 9
septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000775140, / http://www.senat.fr/rap/l04-120/l04-1201.html

6 http://www.vie-publique.fr/politiques-publiques/juge-justice-proximite/juges-proximite/

7 « Vers l’abandon de la justice de proximité des petits litiges civils », 22 mars 2010. http://blog.dalloz.fr/2010/03/22/vers-labandon-de-la-justice-de-proximite-en-matiere-de-petits-litiges-civils/,

8 Projet de loi relatif à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles http://www.senat.fr/leg/pjl09-344.html,.

9 « Les relations de l’administration fiscale avec les particuliers et les entreprises », Rapport public thématique, février 2012.

10 Marc Véricel, Les juridictions et juges de proximité: Leur rôle concret en matière d’accès à la justice des petits litiges civils.

11Ibid

12 « Vers l’abandon de la justice de proximité des petits litiges civils », 22 mars 2010. http://blog.dalloz.fr/2010/03/22/vers-labandon-de-la-justice-de-proximite-en-matiere-de-petits-litiges-civils/,

13 Serge Guinchard, président de la Commission sur la répartition des contentieux, L’ambition raisonnée d’une justice apaisée, Paris, La Documentation française, 2008.

14 « Le gouvernement invente les juges de proximité »,

http://www.rfi.fr/actufr/articles/031/article_16037.asp.

15 Marc Véricel, ibid.

16 Didier Thomas et Anne Ponseille, Les juges de proximité, novembre 2008.

17 Marc Véricel, Les juridictions et les juges de proximité

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