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TRIBUNE. Le Mali et l’éducation
Par Richard Pétris et Florent Blanc. Tribune parue dans La Croix, 18 avril 2013
(lien vers l’article)
Jusqu’où sommes nous prêts à faire varier la focale de notre vision de la situation au Mali afin d’en faire apparaître les différents aspects et à nous ajuster en conséquence pour agir en faveur d’une paix durable dans ce pays et au Sahel ? Plusieurs mois avant le déclenchement d’une action militaire, dont on doit souhaiter qu’elle atteigne au plus vite ses objectifs, des voix nombreuses et diverses s’étaient exprimées pour affirmer que la solution ne pouvait être uniquement militaire. Depuis que le volet civil est à l’ordre du jour, il nous semble que l’accent reste bien insuffisamment mis sur le rôle que devrait jouer l’éducation, en particulier, dans la construction d’une paix véritable pour ce pays, dans sa région et au-delà.
Pour le Mali d’abord, car il ne suffira pas de résoudre le seul problème du retour à l’école des milliers d’enfants qui en ont été privés du fait des événements ; se contenter du retour à la situation ante en quelque sorte. Il faut se poser la question non seulement des infrastructures nécessaires, à commencer par les bâtiments à reconstruire, ou à créer tout bonnement, mais aussi se pencher sur les contenus de cette éducation plus que jamais nécessaire. S’il doit s’agir, comme partout, de permettre à chaque enfant de développer son humanité, la réalité du Mali actuel faisant craindre pour la concorde nationale et douter de la solidité des deux grands corps de l’armée et de la politique, l’intérêt du collectif malien nécessitera que l’on enseigne aussi le respect de l’autre et à la citoyenneté. En plus de la prise en compte de la diversité, la situation des pays en reconstruction impose de favoriser la fonction émancipatrice de l’école.
A l’échelle de la région, voire du continent, ensuite, car on ne peut s’empêcher d’élargir la réflexion à tant d’autres situations auxquelles peut s’appliquer la belle formule d’une actrice de l’éducation dans un pays d’Afrique Centrale qui soulignait récemment et précisément : Instruire un enfant, c’est sauver un homme. Instruire la jeunesse, c’est sauver un peuple. »
Plus largement encore, lorsque nous écoutons l’expression des besoins des populations du Mali, leurs demandes de sécurité globale, nous revient comme en écho le discours d’un leader paysan casamançais qui affirmait, il y a une dizaine d’années, que l’Afrique souffre d’un double déficit : de démocratie et de justice sociale (*). Et d’expliquer que, face à cela, il faut parler de « construction d’une culture de la paix (… ) basée sur une action locale et allant vers une refondation de notre patrimoine global. » Cette stratégie doit comporter trois axes : la réparation des blessures, la prévention des conflits et la promotion d’un développement durable et afficher deux priorités : le rôle de la société civile et la nécessaire invention d’une pédagogie de la paix.
Au-delà, enfin, car qui pourrait sérieusement prétendre que tout ceci relèverait de la seule volonté de nos amis africains ? Nous le savons, l’héritage de la colonisation est multiple et complexe, mais nous n’en sommes déjà plus à la repentance stérile ; creusons plutôt ce que peut recéler d’espoir l’affirmation d’un responsable pour l’Afrique d’une grande multinationale française : « Il n’y aura pas de vrai développement en Afrique tant que la culture de la paix n’aura pas progressée ! » De quelle éducation faudra-t-il donc user pour que tous les citoyens, dans notre propre pays comme dans les pays d’Afrique concernés, soient préparés à se penser comme partie d’
une communauté diverse mais interconnectée et que soient ainsi créées les conditions du changement nécessaire ? Les difficultés à surmonter sont d’autant plus grandes lorsque, comme au Mali où près de 70% de la population rurale vit en état de pauvreté voire d’extrême pauvreté, la fréquentation scolaire est de moins de 30% de la population des moins de 18 ans qui représentent près de 60% de la population globale.
C’est donc bien de l’enseignement d’une culture de la paix qu’il s’agit. L’expérience des situations de sortie de crise de sécurité en Afrique et ailleurs, à montré les mérites d’une approche de la réconciliation qui fait de l’éducation, à tous les niveaux, le pivot de la reformulation d’un projet collectif de société. Les statistiques de l’UNICEF montrent qu’à la veille de la crise actuelle, le Mali affichait des taux de scolarisation très faibles ainsi que des écarts considérables entre garçons et filles, or une société dont les enfants ne bénéficient pas d’une instruction primaire minimale, outre qu’elle compromet les chances de chacun de se réaliser, porte en germe des risques de déséquilibres futurs. Elle les préviendra plus sûrement, au contraire, par l’école et les contenus qui y sont enseignés, outre les apprentissages de base, mais aussi par des techniques d’éducation populaire mettant à profit la culture comme vecteur d’un dialogue propre à l’expression de tous. C’est cette culture de la paix, mise en avant par l’UNESCO, qui doit permettre de doter les acteurs de la société civile et en premier lieu la jeunesse, des outils pour devenir les acteurs du développement et de la démocratie.
A l’heure où les pays-membres de l’Union Européenne et les grands pays donateurs élaborent une stratégie concertée avec les acteurs politiques, la société civile et les composantes diasporiques du Mali, il est temps de poser la question de la place d’une politique publique de l’éducation, de ses choix et de sa dotation. Si le retour à la sécurité demeure une condition préalable à la mise en oeuvre d’une politique complexe de développement, l’attention à l’éducation reste donc essentielle et les militaires ne sont pas les derniers à le souligner. De quelle paix parlons-nous pour un territoire, quel qu’il soit – une région, un pays, un continent, etc. – si nous ne sommes pas prêts, en Afrique, en France et en Europe, à l’investissement en éducation et en formation qui coûterait moins cher que ce que l’on doit mobiliser en richesses et en énergie pour assurer une sécurité que seule défendrait la guerre ? Nous pouvons montrer que le coût d’une journée d’Opération « Serval » équivaut à une année d’un programme d’éducation auquel nous avons travaillé et qui pourrait, à terme, concerner neuf cents écoles au Sahel ! A l’heure de tels choix vitaux pour le Mali comme des remises en question globales auxquelles devrait nous contraindre notre « crise » une réflexion de fond est donc incontournable.