VIVRE-ENSEMBLE. Très-Cloîtres au coeur des guerres de religion (16e-17e)

Très-Cloîtres grenoble guerre des religionsPar Juliette Samman. A Grenoble, le quartier Très-Cloîtres joue au 17e le rôle de lieu d’implantation du protestantisme. Nouvelles idées et volontés de changement se dispersent en remettant en cause l’ordre établi et l’organisation sociale et religieuse. L’architecture s’en ressent tout autant que la toponymie du lieu. Juliette Samman, étudiante en histoire, revient sur cet épisode de l’histoire de Grenoble.

Le XVIe siècle marque l’émergence en Europe et en France du protestantisme après la parution des thèses de Luther en 1517. Cette nouvelle branche du christianisme va gagner des adeptes dans toute l’Europe dont une partie dans le Dauphiné et particulièrement à Grenoble. En effet, dès le début du mouvement, dans les années 1520, des prêches protestants ont lieu à la cathédrale Notre-Dame. Il s’agit d’une population immédiatement marginalisée, se concentrant alors aux limites des villes. Le faubourg Très-Cloîtres va ainsi accueillir un certain nombre de protestants.

Critiques envers les dérives et les excès de l’Eglise, les protestants reprochent à l’institution papale de développer les superstitions, la croyance que le chrétien peut intervenir auprès de Dieu pour son salut et racheter ses pêchés par des moyens monétaires, des cultes mystiques voire des flagellations corporelles. Les protestants pointent du doigt l’ignorance des prêtres et proposent de revenir à la religion des premiers chrétiens centrée sur l’idée d’une foi simple, libre, intériorisée, qui ne passe que par la lecture des textes fondateurs.

Si la protestation désigne  une manifestation critique, la racine du terme – pro- testor – renvoie à un témoignage, en l’occurrence le témoignage devant la communauté de ce qu’est la vraie foi. Au départ, la réforme touche donc avant tout le clergé et la noblesse humaniste, c’est-à-dire une élite lettrée capable de lire les textes originaux, de développer des réseaux de diffusion de connaissances et de rassembler autour d’elle le peuple, peuple auprès duquel la réforme aura un certain succès.

Pour autant la définition du protestantisme en tant que contestation va s’imposer puisque les autorités catholiques la désignent rapidement comme une hérésie. La répression va s’accélérer après l’affaire des Placards de 1534. François Ier, qui jusque-là n’avait pas pris de position claire, émet des condamnations à l’encontre des réformés, qui vont continuer à croitre dans les décennies suivantes. Être protestant est donc une façon de s’opposer au pouvoir. A Très-Cloitres, faubourg à l’écart de la ville, où se concentre déjà une population marginalisée par le système, composée de migrants des campagnes, d’artisans, de miséreux, le mouvement de la Réforme va trouver facilement un écho. Le quartier devient à cette époque un lieu de rassemblement des réformés. Des prêches se font dans des cours de la rue après que le Parlement de Grenoble a interdit qu’ils aient lieu à huis clos, en secret.

Entre 1562 et 1598, les Guerres de Religions opposant protestants et catholiques déchirent le pays. On note des périodes de guerres à proprement parler, souvent déclenchées par un massacre,  où des groupes armés des deux camps s’affrontent avec une violence considérable, puis des périodes d’accalmies après
qu’un traité a été signé. Au cours de ces guerres, la ségrégation spatiale s’accentue avec l’officialisation de places fortes protestantes et de places fortes catholiques. Ces « places de sûreté » sont attestées par l’Edit de Nantes, signé en 1598, qui garantit la liberté de culte et met fin aux Guerres de Religion.

A Grenoble, la situation est particulière. En effet, l’autorité de François de Bonne de Lesdiguières, noble protestant qui prend la ville en 1590, permet aux réformés d’être moins exclus qu’ailleurs. La ségrégation confessionnelle est réelle, avec cette concentration des protestants à la lisière de la ville et notamment à Très-Cloîtres, quartier marginal où est construit le temple protestant, mais Lesdiguières fait preuve de modération et le culte catholique comme le culte protestant sont garantis. Les guerres de religions à Grenoble cesseront dès son arrivée, huit ans avant l’édit de Nantes.

En moins d’un siècle, le protestantisme s’est donc développé, passant d’une religion clandestine pratiquée par des petits groupes locaux et divers, à une Eglise organisée. Si l’Edit de Nantes met fin aux guerres, cela n’empêche pas que deux institutions religieuses coexistent alors, engendrant une relation concurrentielle pour le contrôle des âmes, et l’influence sur la population. Chaque communauté va chercher à s’imposer dans l’espace public qui devient alors un enjeu majeur. L’appropriation des rues est source de conflit, les religions se répartissent géographiquement. Les protestants se regroupent alors dans des quartiers dits protestants, leurs lieux de cultes se trouvent dans des villages voisins, ou dans des faubourgs à l’écart de la ville tels que Très-Cloîtres. Pour autant les habitants de ce quartier de Grenoble ne sont pas tous protestants, et les affrontements violents entre catholiques et huguenots, qui aboutissent parfois à des peines de prisons, en sont la preuve.

Malgré l’édit de Nantes de 1598 qui garantit la liberté de culte, l’Eglise catholique n’abandonne pas la lutte et mène désormais le combat sur le plan théologique. Dans l’esprit du concile de Trente (1545-1563), une contre-réforme est lancée, qui ne se concrétisera réellement qu’au sortir des Guerres de Religion. Le XVIIe siècle sera celui des Saints et des dévots. Le renouveau de la religion qui développe l’éducation des clercs et des laïcs va en effet déboucher sur une progression de la foi. La multiplication et la diffusion des ordres témoignent de cet élan religieux.

Le développement de ces monastères catholiques pour contrer la réforme protestante est particulièrement visible dans le faubourg Très-Cloîtres. Ainsi va s’implanter en 1624 l’ordre des Bernardines au couvent Sainte-Cécile, suivi en 1646 des Minimes qui créent un nouveau cloître dans le quartier. L’église Sainte-Marie-d’en-bas est construite en 1647 par les Visitandines de Sainte-Marie-d’en-haut.

 

Plan des établissements religieux dressé en 1685 afin d’illustrer les nuisances sonores du temple protestant

Très-Cloîtres est donc l’un des lieux de la ville où se cristallisèrent les tensions de la période mouvementée qu’a connu le royaume de France avec l’émergence du protestantisme. A l’extrémité de la ville, le faubourg était déjà un lieu d’accueil des populations marginalisées, l’endroit idéal donc pour les Réformés qui étaient mis à l’écart. Cette ségrégation ne touchait en l’occurrence pas la noblesse protestante mais les petits artisans, tanneurs, potiers, qui voyaient aussi dans le protestantisme un moyen
de distinction. Le quartier fut donc un enjeu pour les catholiques qui ont souhaité le reconquérir grâce à l’implantation d’ordres religieux. Cette reprise en main semble avoir été assez efficace, on peut noter par exemple le déplacement du temple protestant au-delà du faubourg, au niveau de l’actuelle rue Joseph Fourier, en 1675.

Sources :

–         Castagnet, Christin, Ghermani, Les affrontements religieux en Europe : du début du XVIe au milieu du XVIIe siècle, Presses universitaires du Septentrion, 2008

–         Méténier, Le couvent Sainte-Cécile, Glénat, 2009