TRADUCTION. Colombie: erreur de calcul

Alors que les négociations visant à trouver une solution au conflit colombien ont débuté le 8 octobre 2012, certaines voix, au sein de la société civile colombienne se font entendre. Claudia Lopez, politologue et experte auprès des Nations-Unies, fait part de doutes partagés hérités de l’échec des tentatives de dialogue passées. Territoires de paix reproduit ici son propos.

Ndlr: L’article, traduit de l’espagnol par Marie-Thérèse Sottas (bénévole à l’Ecole de la paix), est disponible, en version originale, sur le site de La Silla Vacia (ici).

Par Claudia Lopez, consultante

Que la paix soit plus que la remise et le silence des armes est une évidence que nous partageons, nous la majorité des Colombiens. Mais cette idée n’est souvent que littérature et lieu commun. Chaque président donne le nom de paix à la négociation de désarmement et de démobilisation du hors-la-loi de service. Et après la séance de photos de chaque négociation, la paix ne vient pas. Elle n’est pas venue quand on nous a annoncé la fin du narcotrafic avec le démantèlement du Cartel de Medellin, elle n’est pas venue quand on a démobilisé les six groupes de guérilla qui ont négocié avec Barco et Gaviria, elle n’est pas venue non plus après la négociation avec les AUC.

Puisque nous nous trouvons dans la bonne dynamique pour apprendre des erreurs du passé et ne pas les répéter, nous devrions apprendre une fois pour toutes au moins trois choses : 1. que la paix ne se négocie pas avec ceux qui portent les armes mais avec ceux qui les ont rendues, 2. que la contribution de ceux qui sont armés est de baisser les armes et de rejoindre la construction de la paix sans armes, et 3. que sans État et sans activité économique pour les majorités il n’y aura jamais de paix.

Notre record d’iniquité, qui est des plus honteux, et toutes les négociations préalables démontrent que les élites et la classe politique ont réussi à négocier le désarmement avec les minorités armées et qu’elles ont échoué à négocier l’insertion socio-économique et la modernisation politique avec les majorités désarmées. Les élites et la classe politique ont mené chaque négociation avec le bras armé de service comme quelqu’un qui se débarrasse d’un obstacle pour pouvoir poursuivre son chemin dans l’heureux monde du clientélisme, de l’exclusion, d’une moitié d’État et de l’activité économique à leur seul profit. Le problème se réduit tout simplement aux armes des hors-la-loi et pourvu qu’ils les rendent, ça suffit.

Si le Président Santos veut vraiment passer à l’histoire, sa tâche n’est pas de répéter l‘unique formule sans effet de démobilisation = paix, mais d’avoir la capacité de faire avancer deux négociations distinctes et parallèles, l’une étant la démobilisation de la minorité violente des FARC et l’autre la construction de la paix avec les majorités non armées.

Cette double formule n’a jamais été couronnée de succès.
On a essayé de négocier la démobilisation en tenant la paix pour évidente, ou de négocier la paix en échange de la démobilisation d’une minorité violente, mais en laissant les autres de côté. Ces deux voies déjà empruntées n’ont jamais conduit au succès pour une raison simple et évidente : la paix avec les majorités ne sortira JAMAIS des négociations avec une minorité violente et méprisée, ni avec les FARC ni avec aucune autre.

Pour aucun Colombien il n’est acceptable qu’on nous fasse faire la queue derrière les FARC pour négocier la paix. Le Gouvernement ne peut pas prendre des vessies pour des lanternes, ou pour parler plus clairement confondre les terroristes et les citoyens.

L’agenda de la fin du conflit armé avec les FARC se résume à la fin du conflit avec les terroristes, celui de la paix avec les citoyens. Et ces agendas peuvent coïncider dans le temps, mais ni leur contenu ni leurs interlocuteurs ne doivent être confondus sous peine de soumettre les citoyens à l’infâme situation de faire la queue derrière les terroristes des FARC. Si les FARC veulent faire partie de l’agenda de la paix, qu’ils déposent les armes d’abord.

Avec les FARC on ne peut négocier que dans la mesure où ils apportent quelque chose de concret et où la société colombienne y gagne quelque chose. Il est évident que sur trois des cinq thèmes de l’agenda négocié avec les FARC (la fin du conflit armé, la réparation aux victimes et le narcotrafic) ils ont beaucoup à apporter et nous beaucoup à gagner : moins d’enrôlement d’enfants, moins de mines, moins de viols, moins d’attaques armées et moins de coca.

En ce qui concerne la participation politique c’est le point essentiel de toute négociation avec une minorité violente car il s’agit justement qu’ils laissent les armes pour les urnes.

En outre ce point est la reconnaissance d’un double échec : celui de la classe politique qui a assassiné les socialistes et les communistes au lieu de les confronter aux urnes, et celui des FARC qui ont défendu leurs idées par la violence.

Quant au point du développement rural, ce devrait être un thème de l’agenda de la paix avec les FARC. Accepter d’emblée ce point dans la négociation avec les FARC est une honte nationale qui confirme le mépris historique des élites pour la Colombie rurale, pour les millions de Colombiens qu’ils ont rejetés à la périphérie, les abandonnant à leur sort aux mains des caciques, des guérilleros, des paramilitaires et des narcotrafiquants. Pour eux il n’y a jamais eu d’État ni d’activité économique, seulement des bandits et des opportunistes. Quelle honte d’avoir permis que narcotrafiquants, paramilitaires et guérilleros trouvent une légitimité aux dépens, littéralement aux dépens de la Colombie rurale !

Aujourd’hui les raisons pour lesquelles Juan Manuel Santos a pris ses distances par rapport a son prédécesseur sur des thèmes clés comme la reconnaissance du conflit armé, la réparation aux victimes et la restitution des terres sont claires : il l’a fait pour ouvrir le chemin vers cette négociation.

Si les décisions de Santos sur ces thèmes sont de simples signes en direction des FARC ou font partie des négociations qui sont aujourd’hui connues, c’est l’Histoire qui le révélera.

De toutes façons, il est clair que le Président ne vient pas à cette table par improvisation mais par calcul. Mais dans son calcul, il n’y a pour le moment que les FARC et sa réélection. Notre place, celle des majorités citoyennes désarmées ne fait pas partie de ses calculs.

Ce qui se joue
dans ce processus, Monsieur le Président, n’est pas votre place dans l’histoire, ne soyez pas aussi égotiste. Ce que vous êtes en train de jouer c’est le rôle de votre gouvernement et des majorités désarmées et non représentées par la classe politique dans la construction de la paix.

Ne vous trompez pas de nouveau, comme cela a été le cas pour la réforme de la Justice, ne sous-estimez pas les majorités citoyennes. Nous ne sommes pas en train de demander une place à la table de négociation avec les FARC, ce n’est pas cette place-là que nous revendiquons. Nous n’attendons pas non plus que vos conseillers viennent nous chercher pour apporter notre soutien à cette négociation et appuyer votre réélection.

En réalité nous n’attendons rien d’autre si ce n’est que vous vous décidiez à participer. A participer à la mobilisation citoyenne pour construire l’insertion socio-économique et la mobilisation politique, pour construire l’État et l’activité économique pour tous.

Pour finir, la seule chose que nous attendons c’est que vous et votre groupe politique de députés à la Pyrrhus participiez à l’agenda des majorités citoyennes pour la paix.