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SYNTHÈSE. L’Amazonie colombienne, entre richesses et contrastes.
L’Amazonie colombienne : entre richesses et contrastes.
Le désintérêt étatique et le narcotrafic international, obstacles au développement et au vivre-ensemble.
Le président colombien, Monsieur Juan Manuel Santos, a récemment confirmé son projet de création d’une réserve naturelle dans l’Amazonie, en étendant le parc national Chiribiquete, à l’occasion du sommet de Rio+20. Cette extension pourrait représenter jusqu’à trois milliards d’hectares de forêt protégée, et devenir ainsi le plus grand parc naturel de Colombie. Il faut cependant souligner que le processus fait face à un certain nombre d’obstacles, le gouvernement devant obtenir entre autres l’approbation des communautés indigènes et le renoncement d’exploitation pétrolière de l’Agence nationale d’hydrocarbure.
À bien des égards, cette contradiction entre volonté étatique et réalité géographique est représentative de la problématique du territoire de l’Amazonie colombienne : le changement politique fait toujours face à une continuité d’obstacles sur le terrain, restreignant de fait la marge d’action du décideur. Le volontarisme du président Santos en matière de protection de la forêt amazonienne de Colombie atteste-t-il d’un changement d’attitude du politique en la matière ? Y a-t-il une politique colombienne pour le territoire de l’Amazonie ?
Sans chercher à directement accuser la politique du président Santos envers l’Amazonie colombienne, on observe un certain nombre de dynamiques géopolitiques de longue date, qui portent atteinte à l’action de l’Etat sur le territoire en question. L’axe nord-sud bénéficie en effet d’un intérêt plus marqué par le pays que l’axe est-ouest, et cet abandon du politique a généré pendant des décennies un certain déséquilibre, entre la côte atlantique développée et active et les régions de l’Orinoquia et de l’Amazonie plus éloignées et délaissées. Or, ces territoires contiennent pourtant une richesse naturelle incommensurable tout en constituant, par leur topographie, le lieu idéal du développement de tous types d’activités illégales et notamment la production et le commerce des drogues…
Le paradoxe de l’Amazonie colombienne : un territoire stratégique qui souffre d’un désintérêt étatique.
La forêt amazonienne représente une zone de six millions de kilomètres carrés (6.000.000 km²) répartis entre neuf pays (la Colombie, le Venezuela, le Pérou, l’Équateur, la Bolivie, la Guyane, la Guyane française, le Surinam et le Brésil). Dans l’Amazonie colombienne, 70% du territoire de la région est recouvert de forêt tropicale, caractérisée par des températures oscillantes entre 20 et 25 degrés Celsius, des pluies constantes, et de courtes périodes sèches. Grâce à ses quatre fleuves[1] et à leurs réseaux de confluents, la région de l’Amazonie colombienne est propice au transport fluvial des hommes et des marchandises.
En matière de biodiversité, l’Amazonie colombienne est un réservoir de faune et de flore : le territoire représente près de 54% de la faune du pays. La végétation se transforme progressivement entre la plaine de l’Orinoquia et la forêt tropicale au sud. La population est composée de colons et d’indigènes, localisés tout au long du bassin du
fleuve Amazonas.
L’Amazonie colombienne représente la troisième région de Colombie en termes de surface (près de 403 000 km²)[2]. Sa capitale, Leticia, est un port commercial qui relie le pays au Brésil et au Pérou.
Les menaces qui pèsent sur le territoire sont multiples. On peut considérer deux dynamiques d’utilisation des ressources naturelles par les acteurs locaux : d’une part la dynamique d’exploitation des colons et commerçants provenant de tout le pays, qui cherchent des moyens d’enrichissement rapides, en détriment du bien-être environnemental et social du Basin Amazonien ; d’autre part, les communautés indigènes qui ont développé une certaine convivialité avec le milieu naturel. À bien des égards, les intérêts de ces deux groupes s’opposent.
Le commerce est la principale source d’emploi dans la région : l’intensité des relations commerciales internationales profitent à l’économie locale. La ville de Leticia est le principal centre géopolitique entre Iquitos (Pérou) et Manaus (Brésil), sur le fleuve Amazonas. Leticia est le centre de régulation des produits et services dans toute la région amazonienne. On peut cependant relever certaines faiblesses en matière de développement commercial, comme l’instabilité de la monnaie, l’absence de politiques économiques clairement établies, la complexité des règles commerciales, la carence des services publiques, les coûts parfois trop élevés pour un acteur économique souhaitant utiliser les moyens de transports pour ses activités, etc.
Ces externalités négatives du commerce international pèsent sur le territoire de l’Amazonie colombienne, comme l’atteste le haut taux de chômage, la délinquance, le faible niveau d’investissements privés, une économie faible et un mécontentement social, qui va nourrir la culture de la drogue et la guérilla dans la région.
La Colombie et le commerce international de la drogue : du transformateur au cultivateur-transformateur
Le marché du narcotrafic fonctionne comme une véritable chaîne de production : des matières premières sont récoltées (souvent sous forme de feuilles de coca), puis transformées en produit exportable (en cocaïne, par exemple), le produit est ensuite vendu. C’est un modèle économique à part entière, qui implique la participation d’une multitude d’acteurs et de rôles.
Depuis les années 1980, le marché du narcotrafic s’est construit sur un modèle économique mondialisé : les cultivateurs de la feuille de coca du Pérou et de la Bolivie ont progressivement détenu un quasi-monopole de la récolte des matières premières (culture de feuilles de coca). Les acteurs colombiens du marché du narcotrafic ont plutôt hérité d’un rôle de transformateur, c’est à dire de traitement en laboratoire des feuilles de coca sous forme de cocaïne. Les divers cartels colombiens en assurent ensuite la commercialisation, avec d’autres réseaux dans l’Amérique centrale et l’Amérique du nord.
L’Amazonie colombienne a joué un rôle fondamental dans cette chaîne de production. Le vaste territoire forestier, sa densité, le climat, les fleuves, les ravins et les montagnes, ont offert un abri exceptionnel pour la production et les échanges de drogue. Les précurseurs du narcotrafic y ont vu une opportunité pour cacher ce commerce. Des pistes de fortune étaient par exemple installées pour recevoir les livraisons de feuilles du coca venant du Pérou pour être
transformées en cocaïne en Colombie. Pablo Escobar, chef du cartel de Medellin, a même créé des villages complets dans la forêt dédiés aux échanges et à la production de drogue ! Au moment de l’atterrissage d’un avion, des maisonnettes étaient littéralement déplacées pour permettre aux avions (fournisseurs de marchandises à transformer) d’atterrir sur les pistes clandestines. Les vols militaires d’espionnage et de reconnaissance ont longtemps essayé de traquer ces pseudo-villages, souvent sans succès.
La politique antidrogue américaine du début des années 1990 s’est concentrée sur les échanges internationaux de feuilles de coca, en attaquant directement les centres de production des matières premières (les cultivateurs de coca, souvent installés au Pérou ou en Bolivie), afin de stopper le processus de commerce de feuilles et de transformation en cocaïne qui s’en suit (notamment en Colombie). Un dispositif a été développé pour identifier les avions provenant du Pérou et apportant les feuilles de coca aux transformateurs colombiens, appelé « Air Bridge Denial Program ». Il consiste en un système de détection des vols non identifiés, les contraignant à atterrir s’ils ne dévoilent pas leur identité afin de procéder à une fouille de leur cargaison, pour éventuellement arrêter les commerçants de feuilles de coca. Mais le commerce des narcotrafiquants s’est adapté à la nouvelle donne…
Aux années 1990, divers changements politiques dans les pays andins attestent d’une véritable volonté politique de mettre fin au commerce narcotique.
– La Bolivie a vu le retour de son ex-dictateur monsieur Hugo Banzer, qui a tenté d’éradiquer définitivement les cultures de coca par son « Plan Dignité ».
– Le Pérou a récupéré le contrôle du territoire amazonien avec la chute de la guérilla « Sentier Lumineux » en 1993, ce qui a permis à l’Etat de reprendre en main des zones de non-droit auparavant propice à la culture du coca.
– En Colombie, les cartels de Cali et Medellin, les plus forts de la région, on été abattus au milieu des années 1990. Le cartel de Medellin est tombé avec la mort de son chef principal Pablo Escobar le 2 décembre 1993. Les frères Gilberto et Miguel Rodriguez Orejuela, des leaders du cartel de Cali, ont été captures en 1995 et extradées aux Etats Unis en 2004.
On aurait pu penser que ces nouvelles mesures réduisent considérablement la culture de drogue et les échanges internationaux entre cultivateurs et transformateurs, d’autant plus qu’elles se joignent à la continuité du plan américain « Air Bridge Denial Program » entrepris depuis le début des années 1990.
Cependant, la production de cocaïne et les cultures de feuilles de coca sont, encore et toujours, en augmentation, et ce pour plusieurs raisons : par exemple, une conséquence indésirable du plan américain de surveillance des vols irréguliers (potentiellement livreurs de matière première dans le processus de fabrication de cocaïne), est d’avoir renforcé la culture de coca directement sur le territoire colombien. En d’autres termes, la lutte contre les échanges internationaux de coca (entre les cartels du Pérou et les cartels de Colombie, par exemple) a eu pour conséquence de concentrer sur la même zone les cultivateurs et les transformateurs de cocaïne : auparavant spécialisés dans la transformation de coca en cocaïne, les cartels colombiens tendent à devenir cultivateurs et transformateurs. Cette concentration des tâches permet d’
échapper à la surveillance aérienne américaine du trafic de coca.
La nouvelle stratégie américaine pour lutter contre la chaîne des narcotrafiquants dans la région consiste désormais à détruire directement au sol les cultures de coca, et ce depuis le début des années 2000, opération appelée « Plan Colombia ». On peut cependant parier gros à ce que les narcotrafiquants s’adaptent à la nouvelle donne, comme ils l’ont fait aux années 1990…
Les déséquilibres du territoire de l’Amazonie colombienne, une fatalité ?
Il faut souligner la difficulté à recueillir des données quantitatives exactes concernant la culture illicite de coca et le trafic de drogue dans cette région. Divers organismes internationaux tentent de diagnostiquer le problème, mais les difficultés pour recouper des sources fiables tout comme le désintérêt gouvernemental constituent des obstacles majeurs à une recherche sérieuse. Par ailleurs, le caractère fertile du sol de l’Amazonie colombienne permet aux cultivateurs et aux transformateurs de s’installer temporairement sur un lieu, puis de le quitter, et ainsi de suite. Les cultures de coca ne sont que très rarement statiques, les migrations des cultivateurs accroissent la difficulté dans l’élaboration d’une politique anti-coca efficace.
Cette migration constante est également une menace pour ce que certains biologistes et écologues appellent le « capital naturel » de la forêt amazonienne : les mouvements dans l’espace des cultivateurs de coca accélèrent la déforestation, la contamination des fonts de production d’eau, l’extinction des espèces de la faune et la flore. À mesure que des plants s’installent, se déplacent, et sont parfois brûlés par le « Plan Colombia », les ressources naturelles de la forêt amazoniennes en souffrent, et les premiers touchés sont bien entendus les petits exploitants paysans. On peut considérer que la raréfaction des ressources naturelles et l’appauvrissement des petits cultivateurs (légaux) soit une source pour les conflits armés, dans la mesure où les acteurs économiques locaux sont contraints à devoir se battre pour leur propre survie, à défaut de pouvoir gagner leur vie par leur travail[3].
Le narcotrafic international est responsable de nombreux problèmes en Amazonie colombienne, nuisibles tant au développement qu’au vivre-ensemble :
[1] Ces quatre fleuves sont, le Putumayo dans la frontière qvec le Pérou, l’Amazonas dans la frontière brésilienne, l’Apaporis que divise la region Amazonienne de l’Orinoquia, et le Caquetà que traverse le centre du département. En HERRERA Leonor, Amazonia Colombiana, dans « COLOMBIA PREHISPANICA REGIONES ARQUEOLOGICAS»
Instituto Colombiano de Antropología e Historia, 1993. Disponible sur :
http://www.banrepcultural.org/blaavirtual/arqueologia/prehisp/cp21.htm
[2] Gonzalez Valcarcel, Luz Marina, “Orinoquia y Amazonia, Desafío de nuestro tiempo”. Banco ganadero. Bogotá, Colombia. 1989. pg. 187.
[3] Voir à cet égard l’article de Paul Collier, qui décrit comment la recherche d’enrichissement personnel et l’avidité accroit la probabilité d’émergence de conflits armés. COLLIER Paul, HOEFFLER Anke, « Greed and Greviance in Civil War », Policy Research Working Paper n. 2355, The World Bank Development Research Group, Mai 2000.
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